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Les poules bio marchent sur des œufs

Les poules bio sont-elles des oiseaux de paradis ? Reportage dans une ferme au-dessus de tout soupçon.

Temps de lecture: 5 min

La Ferme des Longs-Prés, à Rognée (Walcourt), existe depuis sept générations. Autrefois dédiée au cheval de trait, elle s’est peu à peu transformée pour se tourner vers les grandes cultures. Mais pas seulement. Depuis environ deux ans, Éric Bedoret et son épouse Martine, en association avec leur beau-fils Laurent Decaluwe, ont ajouté une corde à leur arc : la production d’œufs biologiques. L’élevage est constitué de quatre lots de 3.000 poules rousses qui gambadent allègrement dans un espace de 60.000 m2, pensé pour leur bien-être. Et, par extension, pour celui du consommateur. Car en ces jours tourmentés pour les aviculteurs, ceux qui ont opté pour le bio sont à l’abri de tout soupçon : leurs œufs ne contiennent pas la moindre particule de Fipronil, le fameux insecticide à l’origine de la crise sanitaire. Éric Bedoret lève le voile sur les dessous de son exploitation.

Pourquoi avoir choisi l’élevage biologique ?

Je ne pouvais pas imaginer autre chose. Voir des poules en cages, agglutinées les unes sur les autres, cela ne fait pas partie de mon éthique. Pour moi, le bien-être animal doit être présent. Le cahier des charges bio est très strict au niveau, notamment, de la surface de vie des poules. Il existe une multitude de critères, et on a réussi à les mettre tous en œuvre.

Qu’est-ce qui fait qu’un œuf est bio ?

De leur naissance jusqu’au moment où elles partent de chez moi, les poules le sont : elles sont certifiées comme étant élevées et pondant selon le cahier des charges bio. Et elles sont nourries 100 % bio. Les parcs le sont aussi (les terres ont été laissées en reconversion pendant 18 mois), donc les poules "broutent" bio et, en complément, reçoivent trois à quatre repas par jour, bio, en libre service.

Et comment le public peut-il voir qu’un œuf est bio ?

Sur tous les œufs est inscrit un numéro qui permet sa traçabilité. Ainsi, un œuf qui sort de chez nous est estampillé "0-BE-9037". Le code 0 signifie que la poule a été élevée en plein air et au sol en respectant le cahier des charges bio. Les deux lettres correspondent au code du pays, BE pour Belgique. Les derniers chiffres identifient le producteur de l’œuf. Pour le code 1, la poule est élevée en plein air mais pas bio ; code 2 : élevée au sol en intérieur ; code 3 : élevée en cage en intérieur.

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Comment analysez-vous la crise actuelle ?

Je suis persuadé que les agriculteurs pris dans cette tourmente sont les vraies victimes. Ils ne savaient pas que le désinfectant qu’on leur a vendu était interdit ; ils ont acheté en toute confiance ce produit miracle vendu sous couvert du "secret de fabrication". Et au fond, y a-t-il tellement de contamination ? J’entends qu’on libère actuellement les élevages parce que le taux est si infime que ça ne représente rien. Il faudrait manger 10.000 œufs pour être malade. Est-ce qu’on ne va pas trop loin ? Est-ce que ce n’est pas un peu politique ? Quant à l’Afsca, qui se fait taper sur les doigts, il est certain qu’elle doit contrôler les aliments, mais il y a tellement de molécules différentes… Si quelqu’un ne l’informe pas, elle ne peut pas savoir.

Vous l’avez souvent "sur le dos" ?

Je n’aime pas cette expression. Ils font leur boulot, et ils le font bien. Ce sont des contrôles inopinés et permanents, mais ça ne me gêne pas : c’est un gage de qualité. Et il n’y a pas que l’Afsca qui contrôle ! On vend par exemple chez Delhaize, qui a son propre cahier des charges et qui débarque à l’improviste aussi. Tous les mois, on a l’Arsia, qui vérifie que nous n’avons pas de salmonelle ; nous avons aussi un contrôle vétérinaire obligatoire. En outre, tous nos aliments sont livrés avec un certificat, et à chaque livraison nous en gardons un échantillon pendant 18 mois pour faire une analyse en cas de présence d’antibiotiques.

C’est pour cette raison que le secteur bio n’a pas été touché par le scandale ?

Oui, mais pas seulement : en général, dans le bio, la présence animale est beaucoup moins dense par rapport à la surface d’accueil. Or, plus vous avez de bêtes dans un bâtiment, plus grand est le risque d’avoir des poux rouges, ravis de cette promiscuité grâce à laquelle ils peuvent se nourrir à profusion ! À un moment, il devient difficile de s’en défaire… D’où l’utilisation du Fipronil. Et en bio, il y a aussi de grosses différences entre les codes. En codes 2 et 3, dès que le bâtiment est vide, il est nettoyé et rempli après une semaine. En code 1, c’est au moins quinze jours. Chez nous, code 0, c’est 6 semaines ; donc le pou, s’il y en a, ne trouve plus rien à manger et meurt.

Peut-on dire que l’affaire est au fond une bonne pub pour le bio ?

Soyons un peu chauvins, oui, les ventes vont sans doute augmenter. Mais ce n’est pas pour ça que le produit va suivre : la poule ne va pas se mettre à pondre plus parce qu’il y a une crise !

Et nombreux sont ceux qui ont arrêté de manger des œufs…

Je ne cautionne pas ce genre de réaction finalement épidermique. Il ne faut pas taper sur tout ce qui bouge et supprimer les œufs de son alimentation. Ceux de plein air sont bons, les Colombus aussi, et globalement tout ce qui reste sur le marché – même si je suis partisan de la suppression des œufs de cages, comme souhaité par le ministre Di Antonio pour l’horizon 2022.

Quelles sont les dérives des œufs industriels ?

Je ne parlerais pas de dérives, mais d’un problème de société. Il faudrait qu’on recommence à prendre le temps de cuisiner correctement, et qu’on arrête d’acheter des plats préparés. L’industrie alimentaire a besoin d’œufs, et actuellement, les moins chers sont ceux de code 3. Donc, inévitablement, ce type de producteur existe. Mais que se passera-t-il si la Wallonie décide de laver plus blanc que l’Europe ? Les industriels n’achèteront plus les œufs en Wallonie ! Ils iront au moins cher, en Flandre ou aux Pays-Bas.

Utilisez-vous des insecticides ?

Zéro insecticide dans mon poulailler ! Les utiliser équivaudrait à me tirer une balle dans le pied. Pour les grandes cultures, l’activité principale de la ferme, j’utilise des pesticides selon le principe de l’agriculture raisonnée, c’est-à-dire que je ne répands jamais un produit en préventif mais toujours en curatif. Pour le poulailler bio, il existe une liste européenne de produits autorisés pour la désinfection, tels que la chaux, l’eau de javel ou l’alcool, entre autres. Tout ce qui ne s’y trouve pas est banni.

La Ferme des Longs-Prés est spécialisée dans la production d’œufs biologiques.
La Ferme des Longs-Prés est spécialisée dans la production d’œufs biologiques.

www.oeuf-bio.be/

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