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36, quai des Orfèvres

Depuis 1913, l’immense bâtiment en bord de Seine accueillait le siège, l’état-major et les services communs de la police judiciaire de la préfecture de Paris. Il a fermé ses portes, sauf une.

Temps de lecture: 5 min

Certains lieux sont bien plus que des pierres, des tôles ou des tuiles. Ils sont des acteurs de l’Histoire, parce qu’ils ont contribué à l’écrire. C’est indiscutablement le cas du 36. Une adresse mythique, quai des Orfèvres, à Paris, un lieu unique, tant de fois représenté, tant de fois fantasmé, qui se résume à deux chiffres. Pour évoquer le "36", les policiers parlent d’une "maison", les scénaristes d’une "mine d’or". Quant aux truands, beaucoup lui vouent un "certain respect". Œuvre de l’architecte Émile Jacques Gilbert et de son gendre, Arthur-Stanislas Diet, le bâtiment à l’impressionnante façade qui longe la Seine a été érigé entre 1875 et 1880, à l’emplacement de l’ancien hôtel du premier président de la cour d’appel de Paris détruit, dans la nuit du 24 mai 1871, par un incendie volontaire survenu lors de la Commune. Le brasier avait également ravagé une grande partie du palais de Justice mitoyen, accueillant alors les agents de police parisiens.

Par décret, Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, installe la préfecture de police dans les locaux fraîchement reconstruits du nouveau palais de Justice, au nº 36 du quai des Orfèvres. Depuis sa création, en 1580, cette voie de l’île de la Cité, dans le 1er arrondissement, abrite quantité d’orfèvres, de joailliers et de bijoutiers. Au XIXe siècle, un très populaire marché aux volailles se tenait hebdomadairement sur ce même quai, d’où le sobriquet de "poulets" qui sera bientôt donné aux nouveaux occupants. Le siège de la police judiciaire de Paris s’installe officiellement au 36, quai des Orfèvres, le matin du 1er août 1913. Sous les fenêtres de leurs bureaux mansardés, chaque jour, les agents sont nargués par les membres de la fameuse "bande à Bonnot" qui longent les quais de Seine à bord des premiers véhicules motorisés, des engins qui paraissent encore d’autant plus puissants face aux bicyclettes utilisées par les forces de police. C’est grâce à ces criminels un rien provocants que la police parisienne se voit attribuer par l’État un budget qui lui permet d’acquérir une flotte de voitures digne de sa mission.

Et… une bonne nouvelle arrivant rarement seule, au mois de décembre, après deux ans et demi d’enquête, l’inspecteur Lépine boucle un dossier qui a galvanisé la presse et ému l’Europe entière : le vol de la femme la plus célèbre du monde, "La Joconde", chef-d’œuvre de Léonard de Vinci. Kidnappée au Louvre, en août 1911, elle est retrouvée, en ce mois de décembre 1913, à Florence, sous le matelas de la chambre d’hôtel d’un peintre et miroitier italien qui l’a volée « pour la rendre à mon pays. » Aux quatre coins du globe, on applaudit. Le Président de la république en personne se flanque d’un communiqué de félicitations. Déjà, la légende est en route.

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Tous les grands criminels du XXe siècle sont passés au bureau 315

Le 36 va bientôt permettre le développement de différents services, pour une police plus spécifique, donnant le jour à des brigades dites "criminelles", du "banditisme", du "proxénétisme", des "stupéfiants" ainsi qu’à une brigade "financière". Dans les années qui vont suivre, quand il n’y aura plus de place au siège, certaines d’entre elles seront déplacées. Car très vite, derrière sa belle façade de pierre, le siège de la PJ est un bâtiment qui s’avère trop exigu. Les pièces sont sombres et biscornues, souvent inadaptées. Il n’y a pas d’ascenseurs ; pas de salle de sport ; pas de stand d’entraînement au tir. Au 3e étage, le bureau 315, celui du patron de "la crime", est le seul à être doté de deux fenêtres qui donnent sur la Seine. Plus lumineux que les autres, il est néanmoins tout aussi exigu, croule sous les dossiers, sa table de travail disparaissant sous la paperasse. En un peu plus de 100 ans, c’est pourtant entre ses murs que vont défiler les plus grands criminels français. Le docteur Petiot, arrêté en 1944 après la découverte à son domicile parisien des restes de 27 cadavres, mais aussi Jacques Mesrine, "l’ennemi public numéro un", Thierry Paulin qui a tué et étranglé 19 femmes, Claude Lastennet, un serial killer qui ne s’attaquait qu’aux mamies ou le tueur en série Guy Georges… À l’instar de Landru, le "barbe bleue de Gambais", tous ont monté les 148 marches de l’escalier en colimaçon couvert de lino menant au bureau du commissaire.

La célèbre tour de l'île de la Cité, l'image à jamais liée au 36, quai des Orfèvres.
La célèbre tour de l'île de la Cité, l'image à jamais liée au 36, quai des Orfèvres.

Une brigade reste encore

Un bureau, un lieu qui a souvent inspiré les lettres et le cinéma. Maintes fois la tour, la cour pavée et l’escalier central du 36 ont été le décor d’intrigues policières. Et l’auteur qui a sans doute le plus contribué à la renommée du lieu est un Belge, un Liégeois, Georges Simenon. Dans 75 romans et 28 nouvelles, son commissaire Maigret officie quai des Orfèvres. Jusqu’en 2013, année de son 100e anniversaire, le 36 a accueilli pas moins de 2.230 enquêteurs ayant traité quelque 10.000 affaires par an sur un territoire de plus de 700 km2, incluant Paris et sa proche banlieue. Le lieu était, depuis longtemps déjà, entré dans l’Histoire. Depuis ce mois de septembre 2017, il fait désormais partie de la légende. Jugé trop vétuste et trop inadapté pour sa mission, après 104 ans au service de la PJ de Paris, et un dernier interrogatoire, celui de l’homme accusé d’avoir menacé d’un couteau un militaire de l’opération Sentinelle dans la station de métro Châtelet le 15 septembre dernier, le 36 a refermé ses portes, pour laisser place… à un autre 36 ! Celui de la rue du Bastion, dans le quartier des Batignolles, au nord-ouest de la capitale. Un numéro clin d’œil dans cette rue qui n’en compte pas d’autre. Plus de 30.000 mètres carrés répartis sur dix étages, avec plusieurs ascenseurs ! Depuis quelques semaines, cette bâtisse nouvelle génération accueille quelque 1.700 fonctionnaires de différentes brigades réparties auparavant sur une quinzaine de sites différents. Seule la brigade de recherche et d’intervention (la BRI) occupe encore le quai des Orfèvres. Une décision motivée par la nécessité pour ce peloton d’intervenir rapidement aux quatre coins de Paris en cas d’attaque terroriste. Demeure maintenant une question : que va-t-il advenir du 36 historique ? La décision est entre les mains du ministère français de la Culture. Mais quel lieu serait mieux indiqué pour accueillir un futur musée dédié, tout naturellement, à la préfecture de police ?

Le service d'analyse des traces numériques s'était glissé tant bien que mal dans des locaux obsolètes.
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En s'installant dans le quartier des Batignolles, Porte de Clichy, la police judiciaire a dû faire le ménage dans ses caves: on distingue une pile de malles contenant du matériel pour les interventions lors des catastrophes naturelles.
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Et le studio photo improvisé, entouré de mannequins et autre bric-à-brac.
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