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Antidépresseurs: oui, mais à bon escient!

La ministre de la Santé publique Maggie De Block accuse les médecins généralistes d’en prescrire trop. L’avis d’un psychiatre.

Temps de lecture: 6 min

Selon l’OMS, 4 à 10 % d’entre nous seront un jour confrontés à la dépression. Pour faire face à cette maladie caractérisée par une perte d’intérêt et de plaisir dans la vie quotidienne, deux traitements sont possibles : le suivi d’une psychothérapie et/ou la prescription d’un antidépresseur, la combinaison des deux étant le plus souvent la meilleure solution. Pour la ministre de la Santé publique, Maggie De Block, les médecins généralistes ont tendance à prescrire trop d’antidépresseurs. Mais qu’en pensent les spécialistes ? « La plus grande difficulté de notre époque, c’est que l’on peut rapidement ressentir des affects dépressifs, nous explique le Dr Gérald Deschietere, psychiatre aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Ce sont, par exemple, une perte d’estime de soi, de la tristesse, de la fatigue, de l’indécision ou des troubles du sommeil. Tous ces symptômes peuvent révéler une dépression mais, pris séparément, ils ne suffisent pas à diagnostiquer cette maladie. Il faut en effet compter la conjonction d’au moins cinq éléments parmi ceux précités – dont la liste n’est pas exhaustive – ainsi qu’une durée dans le temps suffisamment longue (environ quinze jours d’humeur maussade) pour définir un réel état dépressif. » Notre société exige souvent un moral à toute épreuve. Il convient donc de distinguer un mal-être psychique passager et une véritable dépression. Ce n’est pas parce que l’on ne se sent « pas en forme » pendant un jour ou deux, suite à une dispute conjugale, une mauvaise évaluation au boulot ou après avoir appris une mauvaise nouvelle, que l’on est forcément déprimé. Du coup, effectivement, s’ils ne se basent que sur l’un ou l’autre symptôme, certains médecins auront peut-être tendance à prescrire inutilement des antidépresseurs, médicalisant ainsi un problème qui pourrait se résoudre spontanément ou à l’aide d’une psychothérapie et le concours d’un environnement familial, amical ou professionnel bien intentionné.

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Tout le malheur du monde

« Certains signes de gravité ne trompent pas, c’est le cas des personnes qui présentent un état mélancolique et sont fortement ralenties », explique le Dr Deschietere. « Le patient se sent responsable et coupable des malheurs du monde. J’en ai connu un qui s’attribuait la responsabilité des massacres en Syrie, et un autre de la crise Fortis… » La dépression donne toujours le sentiment d’être en dysharmonie par rapport au monde et ce, sans raison apparente. Un phénomène que les psychiatres désignent par le terme « hémorragie narcissique » : la personne estime qu’elle n’a plus aucune valeur. Elle a besoin d’être rassurée et, en même temps, il lui est très difficile d’entendre des propos rassurants du style : « Ne t’en fais pas », « Mais si, ça va aller ! », « Ce n’est pas grave… ». « On ne peut pas nier ainsi le ressenti du patient. Il vaut mieux dire : « Je te comprends, nous allons te soutenir » », conseille le Dr Deschietere. « Face aux réalités du monde actuel et aux exigences d’autonomie, il est probablement normal que les raisons d’être déprimé – on a l’impression de ne pas correspondre à ces attentes – augmentent. »

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Ne diabolisons pas les antidépresseurs

Si les antidépresseurs sont autant prescrits, c’est principalement parce que la nouvelle génération de ces médications entraîne moins d’effets secondaires et est nettement moins dangereuse que les anciens. « Cette facilité d’utilisation explique sans doute qu’ils soient davantage prescrits, observe le psychiatre. Le problème, c’est qu’on les prescrit un peu trop vite et parfois à mauvais escient. Pour preuve : une étude ancienne a démontré qu’environ 49 % des Belges n’avaient acheté qu’une seule boîte d’antidépresseurs. Ce qui signifie, pour une grande partie d’entre eux, qu’ils n’ont plus ressenti le besoin de poursuivre le traitement pour sortir de leur « dépression », autrement dit… il ne s’agissait que d’un affect dépressif transitoire pour lequel il n’était donc pas nécessaire de leur prescrire un antidépresseur. » Tout l’enjeu pour les spécialistes est là : est-il nécessaire ou pas de prescrire un antidépresseur ? Pour quelle durée ? Comment le traitement pourra-t-il être progressivement réduit ? « Bon nombre de patients reçoivent des antidépresseurs alors qu’ils n’en ont pas besoin, tandis que d’autres, pour de multiples raisons, arrêtent leur traitement trop tôt, remarque le psychiatre. En revanche, sur la question du rôle du médecin généraliste, je suis très admiratif de la multitude des compétences qu’on leur demande aujourd’hui. Alors, s’ils se sentent intéressés par le domaine de la psychiatrie et capables de distinguer une plainte dépressive et passagère d’un véritable épisode dépressif sévère, je trouve intéressant qu’ils puissent prescrire des antidépresseurs en veillant à l’accompagnement psychothérapeutique. Cela permet par ailleurs aux psychiatres de pouvoir se consacrer aux problèmes psychiatriques encore plus aigus, comme la schizophrénie et les troubles bipolaires. »

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À ne pas confondre avec les anxiolytiques et neuroleptiques

On les confond bien souvent. Pourtant, leur rôle et leurs effets sont bien différents.

* Les antidépresseurs ont pour particularité d’agir sur les neurotransmetteurs (sérotonine, noradrénaline et, pour certains, sur la dopamine). Ces médicaments agissent sur différents mécanismes, par exemple en favorisant la croissance neuronale : il ne faut pas les arrêter trop vite car ils mettent au moins deux semaines avant d’agir. Or, les effets secondaires (céphalées, problèmes gastro-intestinaux, troubles érectiles chez l’homme), eux, auront précédé les effets attendus…

* Les anxiolytiques (Valium, Xanax, Temesta, pour les plus connus), eux, ont une action immédiate, dans les heures, voire les minutes qui suivent. Mais leur effet s’arrête là. Ils sont destinés à traiter les épisodes d’angoisse (sensation physique d’anxiété qui se traduit par des palpitations, une "boule au ventre")… situations de tension extrême pour lesquelles il est parfois utile de donner un anxiolytique. Mais il faut les prescrire pour une période la plus courte possible car l’anxiolytique crée de la dépendance (quand la personne arrête, le besoin se fait ressentir à nouveau) et de la tolérance (quand le patient prend un comprimé pendant trop longtemps, il va devoir en prendre un deuxième pour avoir le même effet). « Je pense donc qu’actuellement, si le traitement psychothérapeutique n’est pas suffisant, ce sont les antidépresseurs qui constituent le meilleur traitement à prescrire aux personnes souffrant d’un trouble anxieux avéré, estime le Dr Gérald Deschietere. Par exemple dans le cas de troubles paniques, d’anxiété généralisée ou encore dans certaines phobies sociales. Le meilleur traitement sera un suivi psychothérapeutique combiné à un traitement antidépresseur… à visée anxiolytique. Parfois, au début de ce traitement antidépresseur, il est nécessaire de prescrire un anxiolytique, pour quelques semaines maximum, afin d’apaiser le patient rapidement. »

* Les neuroleptiques ou antipsychotiques de la deuxième ou troisième génération sont peu utilisés pour les cas de dépression. On les réserve aux cas de schizophrénie et autres pathologies psychotiques.

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