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Hypochondrie: les tribulations du malade imaginaire

Ils pensent être atteints d’une maladie grave et cherchent à le prouver par tous les moyens.

Temps de lecture: 6 min

Il a une verrue et pense que c’est le début d’un mélanome. Elle souffre de migraine et s’imagine atteinte d’un cancer du cerveau. Leur indigestion de la veille devient un ulcère à l’estomac et la tendinite le premier symptôme d’une paralysie progressive… « L’hypochondrie est un trouble anxieux. Il est caractérisé par l’angoisse envahissante d’être atteint d’une pathologie médicale, voire de plusieurs, nous explique le Dr Rodolphe Van Wijnendaele, psychiatre au CHU Saint-Pierre. Les hypochondriaques focalisent en permanence sur un tas de symptômes somatiques de nature diverse et cette situation est extrêmement anxiogène. » On ne parle évidemment d’hypochondrie que dans le cas où la personne, en dépit de diagnostics et d’examens négatifs, continue à être persuadée d’être malade. « Il y a deux sortes d’hyperchondriaques, nous précise le Dr Serge Gozlan, psychiatre et psychothérapeute à la Clinique Antoine Depage. Ceux qui consultent des médecins à tout bout de champ et passent d’examen en examen dans l’espoir (vain) qu’on trouve ce qu’ils ont. Ils sont donc déçus, du coup poursuivent leur quête… Et ceux qui, au contraire, ne vont jamais consulter un médecin, de peur qu’on leur découvre quelque chose. » Le résultat est toutefois le même : ceux qui consultent tout le temps ne sont pas plus rassurés que ceux qui ne le font jamais ! Ne serait-il dès lors pas plus simple que le médecin trouve d’office "un petit quelque chose" qui pourrait être soigné par de la vitamine ou un placebo ? « Non, nous répond le Dr Gozlan. D’ailleurs, qu’on leur trouve quelque chose ou rien du tout, le résultat sera pareil. Ils se découvriront un autre bobo et cela ne finira jamais… Imaginons que l’on détecte chez un patient hypochondriaque une légère carence en fer. Eh bien lui, il imaginera que c’est le signe de quelque chose de bien plus grave ! »

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L’apanage des anxieux

Selon une étude réalisée en 2014 par l’Ifop (Institut français d’opinion publique), 13 % de la population française serait hypochondriaque et, d’après la sophrologue Michèle Declerck, auteure de "L’hypocondrie", interrogée par le Figaro, la plupart seraient des hommes de 35 à 40 ans, en bonne santé, qui ont été surprotégés par leur mère. En Belgique, les chiffres tournent autour de 5 à 10 % et l’on observe une petite prédominance féminine. Dans la plupart des cas, l’hypochondrie est associée à un trouble anxieux. À ce niveau-là, à moins d’être trop envahissant, le trouble est rarement suivi médicalement. Mais il peut aussi être associé à une dépression (tristesse, apathie, perte d’intérêt, repli sur soi…) et, dans des cas extrêmes, on peut avoir affaire à un "délire hypochondriaque". C’est le cas de ce patient qui refusait de s’alimenter, persuadé qu’il n’avait pas de tube digestif… « Le principal symptôme d’une hypochondrie est cette intime conviction d’être malade, qui résiste aux tentatives de rassurance, explique le Dr Van Wijnendaele. Certains patients présentent même des symptômes factices, c’est-à-dire que pour attirer l’attention du corps médical sur leur "cas", ils vont jusqu’à mimer certaines pathologies et, lorsque le médecin s’en rend compte, ils en consultent un autre… »

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À force de se croire atteint, l’hypochondriaque ne finit-il pas par le devenir réellement ?

On peut se poser la question. Qui n’a en effet jamais entendu parler de quelqu’un qui, persuadé d’avoir un cancer, a fini par en avoir un… « Non, je ne le pense pas, répond le Dr Van Wijnendaele. La cancérophobie ne donne pas le cancer ! Mais il faut se rendre compte que, statistiquement parlant, avec la durée de vie qui augmente, le risque de mourir avec un cancer augmente aussi. Sans compter le risque de mourir tout court… Par ailleurs, s’il est dépressif, le patient hypochondriaque, qui a de plus en plus de mal à faire de l’exercice physique, à manger de façon équilibrée, à sortir et à s’amuser, va s’exposer de plus en plus au risque de devenir malade. Donc, quelque part, le patient convaincu qu’il va mourir un jour d’une maladie a raison. On ne peut pas lui dire qu’il ne lui arrivera jamais rien et qu’il ne mourra pas, n’est-ce pas ? Mais en attendant, est-ce une raison pour que l’hypochondriaque passe à côté de sa vie, se la gâche en songeant sans cesse à une maladie qu’il n’aura peut-être jamais ? Je ne le crois pas. » Un cas d’hypochondrie a cependant particulièrement intéressé le Dr Gozlan : celui d’un homme qui cherchait sans cesse de quelle maladie il souffrait… « Un jour, ce patient a senti une petite boule sur la face interne de sa joue, nous raconte-t-il. La fois suivante, elle avait grossi et la fois d’après, elle était devenue douloureuse. Je lui ai demandé ce qu’il faisait par rapport à ce problème. Il m’a expliqué qu’au départ, il s’agissait d’une petite excroissance, puis il a passé sa langue dessus, l’a mordillée, vérifiant sans cesse… jusqu’à provoquer cette inflammation. À force, il a donc fini par provoquer lui-même ce qu’il redoutait. Mais ce n’était pas un cancer, cela n’aurait pas grossi aussi rapidement. » Une chose est sûre : l’angoisse de l’hypochondriaque s’amplifie s’il multiplie les examens, consulte sans cesse des dictionnaires médicaux et cherche à se faire rassurer par ses proches.

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Ce que cela cache…

Le traitement préconisé est de type cognitif et comportemental. Il consiste, selon le Dr Gozlan, à déconditionner petit à petit le patient hypochondriaque, de façon à ce qu’il diminue peu à peu les comportements de vérification qui nourrissent son anxiété et accepte au fur et à mesure de petites doses d’inquiétude. « Nous aidons le patient hypochondriaque à se distraire de ses ruminations à propos de sa santé, à mettre au jour ce qu’elles cachent en réalité. Car nous nous sommes rendu compte que ces préoccupations obsessionnelles représentent souvent une manière, pour le patient hypochondriaque, d’échapper à des ruminations à propos de choses bien plus graves et complexes, des angoisses profondes, qui mettraient son bien-être en jeu. », explique-t-il. Pour compléter la psychothérapie, certains médecins préconisent la pratique d’un sport, d’activités physiques, de séances de relaxation et, de manière générale, de tout ce qui procure un sentiment d’apaisement (sophrologie, yoga, méditation, jardinage, phytothérapie…). Les antidépresseurs ne sont utilisés qu’en cas de dépression ou en traitement de fond des crises de panique. Les anxiolytiques (benzodiazépines) ne sont quant à eux prescrits que pour de très courtes durées, en cas de panique, et ne soignent donc pas l’hypochondrie elle-même.

Ne pas confondre avec la nosophobie 

Là où l’hyperchondriaque, focalisé sur le moindre de ses bobos, est persuadé d’être déjà grièvement malade, le nosophobe, lui, craint les maladies en général et développe certains comportements (pouvant aller jusqu’à des troubles obsessionnels compulsifs) dans le but de les éviter. Le nosophobe va, par exemple, se laver les mains à tout bout de champ, vérifier où il s’assied, se méfier de ce qu’il consomme… Des actes qui le conduisent bien souvent à un isolement social et à une profonde souffrance.

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