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Le retour du (bon) gras!

Deux études viennent de montrer que le gras n’entraîne pas un risque accru de mortalité. Nicolas Guggenbühl, professeur de diététique à l’Institut Paul Lambin (Haute École Vinci) et expert en nutrition, nous éclaire sur ces chiffres..

Journaliste Temps de lecture: 8 min

Il fut accusé de tous les maux. Longtemps, le gras fut diabolisé. Mais voilà que l’année dernière, l’étude « Pure » publiée dans le très sérieux magazine scientifique « Lancet » semblait indiquer qu’il ne fallait pas se priver des graisses ! Menée pendant plus de 7 ans auprès de 135.335 personnes ayant entre 35 et 70 ans et originaires de 18 pays, elle établit qu’un apport élevé de gras est associé à une diminution du risque de mortalité. À l’inverse, un apport élevé en glucides est lié à un risque accru de mortalité ! Et cette année, une nouvelle recherche confirme ces résultats. Menée cette fois auprès de 15.428 Américains âgés de 45 à 64 ans et suivis pendant 25 ans, l’étude ARIC confirme elle aussi le lien entre une diminution de l’espérance de vie et une alimentation dont l’apport en glucides est soit très bas (moins de 40 % de l’apport en calories), soit très haut (plus de 70 %).

Les lipides semblent l’emporter sur les glucides, si l’on en croit ces deux études. Le gras ferait-il ainsi son grand retour ? Il ne faut pas simplifier les résultats de ces études mais les analyser ! La première étude « Pure » a été menée sur des populations ayant des régimes alimentaires très différents, impliquant des personnes dénutries d’Asie, qui ne mangent que du riz, comme des Occidentaux, qui jouissent d’une pléthore d’aliments. Elle a établi une association entre la mortalité et une alimentation basée essentiellement sur des glucides, qui est le reflet d’une alimentation peu diversifiée. Elle a aussi montré qu’un apport élevé de graisses est associé à un risque plus faible de mortalité qu’une alimentation pauvre en graisses. Cette étude suggère donc que la graisse n’est pas, comme on l’a longtemps prétendu, l’ennemi public nº 1. Mais on ne peut pas pour autant en déduire que manger plus gras est bon pour la santé, que l’on peut manger des saucisses ou que l’on peut tout simplement remplacer les glucides par des lipides. En Belgique, il n’y aurait pas de bénéfice santé à manger plus gras, l’apport en graisses étant déjà important. Et puis, outre la quantité de graisses, leur qualité importe. Une étude (Aric) a mis en évidence que les régimes alimentaires déséquilibrés en glucides (moins de 40 % et plus de 70 % de l’apport énergétique) diminuent l’espérance de vie. Mais elle s’est également intéressée à ce qui se passe quand on remplace les glucides soit par des protéines et des lipides d’origine animale, soit par des protéines et des lipides provenant de sources végétales. Dans le premier cas, le risque de mortalité est plus important et dans le second, diminué. Elle montre ainsi qu’il vaut mieux manger des graisses d’origine végétale qu’animale, ce que l’on sait depuis longtemps. Dernier élément de l’étude Aric que je soulignerais : la mortalité la plus faible s’observe pour un apport en glucides équivalant à 50-55 % des apports en calories, ce qui correspond exactement à ce que recommande le Conseil Supérieur de la Santé. Il faut savoir que les calories dont nous avons besoin pour fonctionner – environ 2.000 kcal/j pour une femme et 2.500 pour un homme – sont fournies pour moitié par des glucides pris au quotidien lors des trois repas. Concrètement, cela veut qu’au petit-déjeuner, vous mangez du pain et/ou des céréales : deux tranches pour une femme sédentaire et le double pour un homme sportif. À midi, comme bien des Belges, vous pouvez manger un sandwich mais d’un pain de qualité. Gare à la baguette blanche industrielle ! Elle fait rapidement monter le taux de sucre dans le sang, ce qui engendre la production d’insuline puis la sensation de faim. Mieux vaut bien choisir son pain, de préférence à base de céréales complètes ! Le soir, les glucides peuvent être fournis par des céréales telles le quinoa, le riz, des pâtes, des légumineuses comme les pois chiches, lentilles, haricots secs…

Le gras a été diabolisé. À tort si l’on en croit ces études ? Depuis des décennies, les États-Unis font la chasse au gras et ne jurent que par le « low fat » et les produits « light », tout en compensant avec des sucres. Alors que nous avons besoin de gras, mais du bon gras ! Il est essentiel notamment à la constitution du cerveau et du système nerveux. Les travaux chez l’animal suggèrent que certaines graisses essentielles, comme les omega-3, pourraient bénéficier au vieillissement du cerveau et aux facultés cognitives, voire même dans le cadre de la maladie d’Alzheimer.

Il y a ainsi du bon et du mauvais gras ? Le bon gras est celui qui fournit les omega-3 et omega-6 dont nous avons besoin pour fonctionner et rester en bonne santé. Nous ne les fabriquons pas et devons les trouver dans l’alimentation. Les omega-3 sont fournis surtout par les poissons gras, à savoir le saumon, les sardines, le hareng, le maquereau et le thon. Ils se retrouvent également dans certaines huiles, celles de colza, de lin, de noix. L’huile d’olive ne contient pratiquement pas d’omega-3. De même, les huiles de palme et de coco ne sont pas intéressantes malgré tout ce qui s’écrit sur le Net. Toutes les noix – de cajou, du Brésil, de Grenoble… – et toutes les graines – pistache, sésame, pignons… – contiennent du bon gras (omega-6 surtout, et omega-3 pour les noix). Mais attention !, ces aliments ne doivent pas être consommés en plus des quantités de graisses que nous mangeons mais à leur place.

Et le mauvais gras ? Quel est-il ? Il s’agit du gras d’origine animale, en l’occurrence celui de la viande, des fromages, crèmes, beurre, viennoiseries… Consommé en quantité, ce gras peut entraîner des problèmes de santé, en particulier une augmentation du taux de cholestérol et donc du risque de maladies cardio-vasculaires.

De telles études ne réhabilitent-elles pas le beurre ? Il reste à proscrire ? Elles réhabilitent le bon gras et le beurre n’en est pas un, lui qui contient 80 % de graisses animales. Mais on peut en manger si on l’apprécie. En petite quantité ! On peut en mettre un peu sur sa tartine ou ses légumes. Se faire plaisir est important ! Il ne faut pas le supprimer mais le gérer en évitant par exemple les cakes et autres biscuits au beurre ou les soles meunières. La quantité que l’on peut prendre est de 20 grammes par jour, l’équivalent des deux petits carrés que l’on vous donne au restaurant. Mais il vaut mieux cuisiner à l’huile qu’au beurre car l’huile est moins chargée en acides gras saturés.

Plus de croissant au petit-déjeuner ? Ni de crème fraîche ? On peut s’offrir un croissant au petit-déjeuner du week-end. Quant à la crème fraîche, mieux vaut en user avec modération. Mais en ce qui concerne les produits laitiers, on se rend compte aujourd’hui que les produits laitiers allégés ne présentent aucun avantage pour les maladies cardio-vasculaires ou la mortalité. C’est une énigme que l’on appréhende par la notion d’« effet matrice », qui signifie que les effets d’un aliment sur la santé ne se résument pas aux effets connus des différents nutriments qui le composent. Manger un aliment complet, ce n’est pas ingérer séparément ses composants. Ainsi, on peut parfaitement boire du lait entier ou manger un yaourt entier, sauf si on souffre d’un excès de poids.

Pareil pour les fromages ? Ils font partie des mauvais gras qu’il faut prendre avec modération ? Les fromages contiennent des « mauvaises » graisses saturées. Plus les fromages sont secs, plus ils sont gras. Ainsi, un brie bien coulant est moins gras qu’un comté. Les fromages les plus gras sont en effet ceux à pâte dure, comme le parmesan, le gruyère, le comté, le cheddar. À nouveau, on peut en manger, mais sans exagérer : 30 grammes de fromage à pâte dure par jour ou 120 grammes de fromage frais.

En ce qui concerne les viandes, y a-t-il des différences en ce qui concerne le gras ? Manger de la viande fraîche ne pose pas de problème car le gras est visible et peut donc être enlevé, sauf dans le cas des viandes Angus très persillées où l’on peut voir les filaments de gras dans les muscles. Les viandes maturées sont également assez grasses et davantage que les carrés ou côtes de porc. On peut manger 350 à 500 g de viande (hors volaille) – soit deux à quatre repas – par semaine selon les préparations. Mais attention : les viandes transformées en haché, saucisses, saucissons et autres charcuteries sont généralement bien plus grasses, et de surcroît peuvent être chargées en sel et additifs. À limiter fortement.

Les frites, quand elles sont cuites dans l’huile végétale, restent-elles à bannir ? Nous consommons souvent des frites surgelées qui sont précuites. Nous ne maîtrisons donc pas le gras utilisé pour la précuisson. Si vous voulez manger des frites, il vaut mieux les faire vous-même, à moins de connaître la nature de l’huile de la précuisson. En ce qui concerne l’huile de friture, mieux vaut éviter une huile riche en omega-3 comme le colza, car les omega-3 sont très sensibles aux hautes températures. Il convient de s’orienter vers l’arachide, l’olive ou des mélanges d’huile conçus pour la friture. Si vous choisissez malgré tout une graisse animale pour la cuisson, il vaut mieux choisir les graisses de canard ou d’oie que de bœuf car les deux premières sont moins riches en acides gras insaturés.

Et le chocolat ? Le chocolat est certes un aliment gras, sucré et donc riche en calories, qu’il faut pouvoir gérer. Mais son gras n’est pas si mauvais : le beurre de cacao n’a pas d’effet néfaste sur le taux de cholestérol. Préférez cependant un chocolat riche en cacao que des pralines au beurre !

Quelle est la consommation de gras en Belgique ? Quelque 38 % de nos apports caloriques sont fournis par des graisses alors que les instances de santé recommandent maximum 35 %. Nous sommes donc légèrement au-dessus, sans que cela soit préoccupant. Mais ce qui pose problème, c’est la quantité de mauvais gras que nous ingérons, à savoir des graisses saturées. Elle ne devrait pas dépasser 10 % des apports caloriques alors que nous sommes à 13 %, soit 30 % au-dessus de la limite maximale. Il y a donc matière à améliorer notre consommation de graisses.

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