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«J’ai vécu une semaine à côté du coronavirus»

Alors que nous y étions en villégiature aux Contamines, le coronavirus 2019 a attaqué le petit village de montagne. Voici comment on vit une semaine en côtoyant un ennemi mortel invisible.

Temps de lecture: 6 min

Les Contamines-Monjoie, un joli village français au pied des sublimes Dômes de Miages, satellites majestueux du mont Blanc. Nous sommes à l’ouest du plus haut sommet d’Europe, au-dessus de la petite ville de Saint-Gervais. Face au mont Blanc, il y a le mont Joly, un sommet de 2.500 mètres sur les pentes duquel se déploient les pistes de ski de la station des Contamines.

Nous sommes le samedi 8 février. Sur l’autoroute, nous sommes escortés par la horde des Parisiens qui, en « vacances de Carnaval », se dirigent vers les pistes de ski. Il est 10 heures quand une info diffusée au journal de France Inter (mais sans doute sur toutes les radios de France) nous sidère : cinq personnes des Contamines (et six en fin de semaine) ont été hospitalisées en urgence, victimes du coronavirus. On apprendra par la suite qu’il s’agit d’une famille de Britanniques vivant aux Contamines, qui a été contaminée par l’un de leur membre arrivant de Singapour. Parmi les malades, il y a un enfant qui a – pour une raison jusqu’ici inexpliquée – fréquenté récemment trois écoles de la vallée, qui sont toutes mises illico en quarantaine (quatorze jours).

Autant dire que, pour le touriste qui s’apprêtait à passer une semaine de ski tranquille, l’info est bouleversante avec évidemment une question : ne risque-t-on pas, en habitant là pendant une semaine, d’attraper le virus ?

En une mondiale !

D’autant qu’en fin d’après-midi, lorsqu’on arrive tranquillement vers 17 heures sur le grand parking au centre du village, nous sommes accueillis par une meute de caméras de télévision. Ils sont tous là, à scruter les visages inquiets des touristes, à filmer des plans de la rue principale du village, ou à prendre l’image de l’écran géant qui affiche qu’à 20 heures aura lieu une séance d’information destinée aux touristes, mais aussi et surtout aux habitants. Ces images ont fait le tour du monde !

En ce qui nous concerne, nous allons modestement chercher les skis que nous avons loués. Inutile de dire que lorsque nous pénétrons dans le magasin et que nous approchons des jeunes hommes qui règlent nos skis et nous font essayer les chaussures, impossible de ne pas se dire : et si les malades étaient venus ici ? Et s’ils avaient touché ces skis et ces chaussures, ou contaminé les personnes auxquelles nous tendons notre carte de paiement. Et que dire de la boulangerie, du marchand de fromages et du boucher… L’imagination est la pire des maladies.

À la réunion d’information, les autorités n’auront de cesse d’essayer de calmer les craintes. Il n’y a pas lieu de penser que d’autres personnes ont été contaminées par le coronavirus (ils ont tort puisqu’une sixième personne sera diagnostiquée en fin de semaine, mais il est vrai de la même famille). Et de toute façon, le lendemain, dimanche, environ 200 personnes ont été convoquées pour passer un test de dépistage.

Le problème des « œufs »

Le lendemain, dimanche, l’atmosphère dans le village est vraiment désespérante. D’abord, il est bien évident qu’alors qu’il fait pourtant superbement beau (ciel d’azur, grand soleil et neige parfaite) et que les touristes parisiens devraient être en nombre, la station de ski des Contamines est loin de faire le plein. Devant les caisses des remontées mécaniques, le public est clairsemé. Il faut dire que beaucoup de gens ont sans doute entendu, comme nous, de soi-disant spécialistes s’exprimer à la radio.

Si beaucoup de médecins rappellent que le coronavirus ne peut se transmettre que dans un rapport rapproché entre les personnes (moins de deux mètres), d’autres affirment quand même que, dans un espace restreint et fermé, il y a un risque réel. Or, toutes les remontées mécaniques des Contamines démarrent par des cabines fermées (nous disons familièrement des « œufs ») accueillant jusqu’à six personnes (en serrant bien). Le problème n’est pas que, si une personne infectée ayant contaminé l’œuf, le virus puisse survivre pendant plusieurs jours ou même une seule nuit. Le problème en revanche est que les cabines tournent et reviennent à leur point de départ. On peut donc monter dans un œuf un quart d’heure après qu’une personne contaminée s’y est assise. Et là, le spécialiste est formel : le risque est réel.

Il faut le reconnaître : cet argument nous a obsédés. Jusqu’à nous faire prendre une décision peut-être ridicule, mais qui nous a tranquillisé l’esprit : nous irons skier dans la... station d’à côté, Saint-Nicolas de Véroce. Non qu’on soit sûr que, là-bas, il n’y aura pas de personnes contaminées, mais parce que cette minuscule station n’utilise que des télésièges ouverts et des tire-fesses, sans risques, et non pas des « œufs ». C’est idiot, mais assumons…

Le virus est partout... dans les têtes

Le dimanche soir, lorsque nous décidons d’aller manger un morceau au restaurant, l’atmosphère est vraiment pesante : pas un chat dans le village. Nous serons la seule table occupée ! Dans son resto déserté, le patron (qui a travaillé un temps en Belgique) nous dit : « Je suis persuadé qu’il n’y aura rien de plus que cette famille. Mais allez donc expliquer cela aux touristes. Tout le monde a peur. » Inquiétant tout de même : quand on lui demande s’il fait partie des 200 personnes qui ont été testées pour le virus, il nous répond : « Non. Personne ne m’a dit si je devais le faire. Et je ne le ferai donc pas. » À la fin du repas, quelqu’un de la famille m’appelle de Belgique. « Ne crains-tu pas que, si ce soir les autorités découvrent plusieurs nouveaux cas, le village soit placé en quarantaine ? » Comme en Chine en somme. Je serais donc bloqué là, à cinq kilomètres du chalet, pendant quatorze jours. Heureusement, cela ne s’est pas produit. Le lendemain lundi, fort heureusement, on apprendra qu’aucune des 200 personnes testées n’a été touchée par le virus.

Il n’empêche, quand on pénètre dans la pharmacie du village, on remarque combien l’inquiétude des villageois et des touristes est ancrée dans les têtes. D’abord, à l’entrée de la pharmacie, ce message affiché en grand attire l’attention : « Nous n’avons plus de masques de protection. » Nous voilà prévenus. C’est peut-être ce qui explique que personne, aux Contamines, ne se promène avec un masque. Mais dans la file des clients, c’est étonnant de voir combien, à demi-mot, les gens expriment leurs craintes aux pharmaciens. Les uns achètent du savon pour se désinfecter les mains (comme les infirmières). Les autres achètent des sirops, pilules ou autres censés renforcer l’immunité, etc.

Une baisse de la fréquentation

Ceux qui ne sont pas à la fête sont malgré tout les commerçants. Car si, au fil des jours, les touristes semblent être revenus, au moins en partie, cette semaine restera dans les annales comme un « congé de Carnaval » exécrable. Au magasin Carrefour, au centre du village, la caissière (très enrhumée, espérons que ce ne soit pas le coronavirus !), nous explique qu’elle a enregistré une baisse sensible du nombre de clients par rapport à ce qui était prévu. Même réaction chez le loueur de skis, qui multiplie les ristournes et les démarques. Même opinion dans les bars et dans les restaurants, et sur les pistes. La situation n’aura pas été catastrophique mais, c’est bien clair, les Contamines ont été… contaminées.

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