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«J’ai vécu ma vie comme une guerrière»: ce jour où Eva Thomas a brisé le tabou de l’inceste

Elle fut l’une des premières victimes d’inceste à témoigner à visage découvert à la télévision : Eva Thomas raconte à l’AFP son combat vers la paix intérieure, retrouvée après s’être battue « comme une guerrière » dans un « sursaut de survie ».

Temps de lecture: 4 min

En septembre 1986, les téléspectateurs d’Antenne 2 et des « Dossiers de l’écran » s’émeuvent en direct devant le récit du viol dont cette psychopédagogue a été victime trois décennies plus tôt. «  J’ai témoigné comme on se jette dans le vide. Mais j’étais déterminée à briser le silence », souligne Eva Thomas, aujourd’hui octogénaire.

Dans son appartement niché sous les toits de Grenoble, elle explique avoir voulu «  tendre la main » à toutes les victimes qui, comme elle, avaient expérimenté «  la solitude la plus absolue ». «  Je n’ai pas vécu ma vie comme une victime, mais comme une guerrière ».

Un soir d’été 1957, Eva Thomas est violée par son père alors qu’elle vient d’obtenir son brevet. Dès lors, elle s’emploie à fuir ce jardinier «  doux et calme » qui n’avait jamais élevé la voix et endossé pour ses enfants le rôle «  de la tendresse ».

Pour préserver son noyau familial, elle choisit de se taire. «  J’avais perdu mon père. C’était ça, le vrai traumatisme ». Quand l’adolescente de 15 ans se confie au curé du village, persuadée d’avoir commis un «  péché mortel », ce dernier lui conseille «  d’oublier ça ». «  J’ai obéi car je voulais réaliser mes rêves ».

Eva Thomas grandit en Normandie dans une famille catholique passant ses vacances au presbytère et dans laquelle baigne «  l’idée du sacrifice ». La petite fille se construit en «  rébellion » face à des proches qui espèrent la voir marcher sur les traces de sa mère alors qu’elle a pour modèle sa tante, une institutrice laïque.

Malicieusement, la fillette de 10 ans confesse au prêtre son rêve d’institutrice, expliquant avoir été «  appelée par Dieu ». «  Ça a marché : il a incité mes parents à me payer des études. J’avais pris ma vie en main. Quand c’est arrivé, j’étais construite. Cela a joué beaucoup dans mon histoire ».

Après l’agression, elle souffre d’anorexie et arrête ses études pour retourner chez ses parents. «  Quand le médecin a parlé d’hôpital, j’ai recommencé à manger pour reprendre mon projet. C’est en restant dans la réalité que j’ai réussi à tenir ».

« Viol du silence »

À 19 ans, elle réalise son rêve en devenant institutrice dans son village. Deux ans plus tard, elle quitte la France pour enseigner en Algérie et rencontre le père de sa fille, avec lequel elle s’établira au Tchad. En 1971, le couple revient en France.

Hantée par des cauchemars, Eva Thomas peint des nuits entières pour s’apaiser. Sur l’une des poupées momifiées qu’elle confectionne, elle commence à écrire son récit.

En 1980, elle rédige une lettre à son père, qui avoue et lui demande pardon. «  Ça changeait tout. Cela a eu un pouvoir réparateur très puissant ».

Révoltée que la parole d’une fillette violée par son père ne soit pas entendue, elle couche sur le papier, dans une «  traversée douloureuse mais libératrice », ce qui deviendra « Le viol du silence », son premier livre publié en 1986 après son passage aux « Dossier de l’écran ».

La déflagration médiatique de son témoignage propulse SOS Inceste, son association fondée en 1985 à Grenoble, aux avant-postes du débat. Très vite, la militante devient porte-parole «  des autres ». «  J’étais en mission. On était des sœurs qui se sauvaient ensemble ».

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AFP

En 1989, le procès d’une victime poursuivie par son père pour diffamation vient briser cet élan. À la barre, Eva Thomas témoigne de l’importance de la «  parole publique ». Mais le procureur se range du côté de la loi. «  J’étais dans une colère folle et ne savais plus à quoi me raccrocher ».

«  Obsédée » par le sentiment d’avoir été «  foudroyée » par la justice, elle se met en tête d’obtenir réparation malgré la prescription et dépose auprès du tribunal un changement d’état civil. «  Quand j’ai reçu la lettre d’acceptation, j’ai instantanément retrouvé toute ma santé physique et psychique ».

Eva Thomas estime que la société n’était «  pas prête », lorsqu’elle a parlé, à affronter l’inceste et qu’elle a cheminé durant 35 ans vers «  l’écoute ». Aujourd’hui, «  elle a compris que l’inceste est un crime, une vraie destruction de l’identité ».

AFP

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