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Comment la Belgique traite-t-elle les auteurs d’agressions sexuelles ?

Interview de Pierre Collart, docteur en psychologie, professeur à l’UCL et spécialiste des déviances, violences et abus sexuels, membre de l’Equipe d’Evaluation et de Prise en Charge des Paraphilies, Hôpital Vincent Van Gogh, CHU de Charleroi.

Temps de lecture: 5 min

Pierre Collart
Pierre Collart

Il est très important de comprendre qu’au-delà de l’abuseur sexuel, on traite une personne, dans tout ce que cela implique comme complexité. Tout commence dès lors par un questionnement sur cette personne : quelles sont ses caractéristiques de personnalité, comment gère-t-elle ses émotions, ses comportements… Ensuite, on s’intéresse aux éléments de contexte dans lesquels ont lieu les abus. S’agit-il de comportements présents de manière récurrente et régulière dans l’histoire du patient, ou arrivent-ils à des moments particuliers de sa vie ? On tente par ailleurs de comprendre le mode opératoire de l’auteur, ce qui nous donne accès aux caractéristiques des interactions qu’il entretient avec la victime, et aux motivations présentes dans ses actes abusifs. Ainsi par exemple, on peut se rendre compte que certaines personnes n’accordent guère d’importance à l’autre ; ce dernier devient aux yeux de l’abuseur un simple objet de consommation sexuelle et on ne demande pas son avis à un objet. Au niveau du traitement, il est très important que la personne reconnaisse les faits. Et également, ce qui est une étape différente, sa responsabilité dans les faits commis. En effet, si l’auteur les nie ou les minimise en disant qu’il n’y a pas eu d’abus car la victime était consentante voire provocante, on ne peut pas progresser dans le traitement. Cette étape est essentielle. Le traitement se poursuit ensuite en situant le comportement sexuel abusif dans une problématique personnelle plus générale chez l’auteur. À ce niveau, on va voir que parfois, la motivation n’est pas forcément sexuelle. Une personne peut par exemple devenir un agresseur sexuel car il a une hostilité et une rage importantes vis-à-vis des femmes ou comme c’est sans doute le cas dans l’affaire Weinstein, qu’il cherche à affirmer son pouvoir via la sexualité.

Les victimes sont des considérées comme des objets par les abuseurs. Comment changer un tel regard ?

Ce n’est pas toujours le cas. Même si cela paraît incroyable, un certain nombre d’abuseurs se soucient de leurs victimes et pensent qu’ils ne leur font pas de mal ou pensent qu’ils se sont « arrêtés à temps ». Certains pensent même être dans une relation amoureuse avec la victime. Il s’agit là de fausses croyances que l’on travaille en thérapie. Pour comprendre la manière dont l’abuseur considère la victime, nous utilisons des techniques qui nous permettent d’analyser les enjeux des relations entre l’abuseur et sa victime. Que représente la victime pour l’abuseur ? Qu’est- ce qu’elle joue dans sa relation avec l’autre ? On décortique également l’évolution progressive de la relation pour que l’abuseur se rende compte du moment où il a dérapé, où il a interprété le comportement de la victime comme un accord de consentement. Il doit également apprendre à se mettre à la place de l’autre. Ce travail est l’occasion de travailler les fausses croyances de l’abuseur, ainsi que ses éventuelles techniques de victimisation. Il doit comprendre que ses actes ne sont en aucun cas justifiables, ni excusables. Les thérapeutes l’accompagnent dans cette démarche et l’aident à donner du sens à ses comportements, avec comme objectif clair qu’il ne les répète pas.

Combien de temps dure un tel traitement ?

Il est difficile de répondre à cette question. Tout dépend de la personne, de sa motivation et du rythme auquel elle évolue. Cela peut prendre plusieurs années.

La prise en charge ne passe pas par des médicaments ?

Parfois, tout dépend de la personne et de la situation. La décision d’utiliser des médicaments se prend en équipe pluridisciplinaire.

Le traitement est essentiellement cognitif. Il ne passe pas par un traitement sur le corps ?

Il y a 20-30 ans voire plus, certains programmes de traitement avaient recours à des méthodes de conditionnement aversif. Il s’agissait par exemple d’exposer la personne à ses propres stimuli déviants et de lui faire ensuite renifler de l’ammoniac quand l’excitation apparaissait. Mais à ma connaissance, de telles méthodes ne sont plus utilisées en Belgique, ni en Europe.

Quelle est l’efficacité de vos méthodes ?

Les taux de récidive permettent de répondre à cette question. Et ceux-ci varient en fonction des profils d’agressions sexuelles. Ainsi dans le cas des abus sexuels intrafamiliaux, les taux de récidive sont bien plus bas que ceux des personnes qui abusent sexuellement en s’en prenant à des victimes inconnues. Par ailleurs, les données internationales montrent que les abuseurs sexuels ayant pu bénéficier d’un traitement récidivent moins que ceux qui n’ont pas été soignés.

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En ce qui concerne Harvey Weinstein qui a défrayé la chronique pendant de longues semaines. Ce profil est-il fréquent ?

Ce n’est pas le type d’abuseur que l’on rencontre le plus fréquemment. J’en ai davantage entendu parler dans la presse que vu dans ma pratique professionnelle.

Harvey Weinstein a abusé pendant des années de jeunes femmes qu’il contraignait à des rapports sexuels non désirés en leur faisant miroiter une belle carrière dans le cinéma. Son problème est décrit comme celui d’une personne souffrant d’addiction sexuelle. Cela vous semble-t-il approprié ?

Je suis étonné d’une telle qualification. Le concept d’addiction sexuelle est très discuté car l’addiction au sexe serait un besoin impératif de consommer du sexe accompagné de manque s’il y a privation. Selon moi, on est plus ici dans le cas d’une personne parfaitement consciente de ses actes, qui affirme son pouvoir via la sexualité. Cette volonté d’affirmation peut être due à un trouble de la personnalité et à des préoccupations quant à ses capacités sexuelles. Il ne s’agit toutefois là que d’hypothèses, je ne connais pas Harvey Weinstein.

Un traitement pourra-t-il l’aider ?

On est face à une personne qui est dans la répétition régulière d’abus sexuels qui se sont passés dans un contexte de non-dit puisque le silence a entouré ces comportements pendant des années. Mais en même temps il est confronté très brutalement à ses actes puisqu’il a perdu son travail et est dénoncé publiquement. Mais on ne peut savoir comment il va réagir et quelle prise de conscience il va faire. On ne peut qu’espérer une remise en question et une motivation à changer. Si nous, psychologues, n’avions pas l’espoir que la personne peut évoluer et dépasser son comportement déviant, nous ne ferions pas notre métier.

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