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Küssnacht, 29 aout 2010 : l’hommage d’Albert II à sa mère

Le roi se recueille la où la reine Astrid, sa mère, qu’il n’a jamais connue, a disparu tragiquement, dans un si banal accident de voiture...

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Le roi Albert est souriant, le teint hâlé en cette fin août. Sur les rives du lac des Quatre-Cantons, dans ce minuscule coin de campagne de Suisse alémanique, il fait radieux. Ce vendredi, on commémore pourtant un épisode sombre de la vie des Belges, parmi lesquels ce petit bout d’homme qui avait 1 an à peine lorsqu’il devint orphelin. 75 ans plus tard, des dizaines de personnes se souviennent avec lui du drame qui s’est joué ici, sur ce petit morceau de gazon d’apparence si inoffensif. Durant l’office religieux donné dans la petite chapelle attenante, les mots du père bénédictin Jean-Sébastien Charrière ne font pas ciller le Roi. Pourtant, nous, journalistes, sommes frappés de stupeur, et mal à l’aise. « Si nous sommes aujourd’hui réunis en ce lieu, c’est pour faire mémoire de l’anniversaire du décès de Sa Majesté la reine Astrid, ainsi que de l’enfant qu’elle portait en son sein. » Énoncée comme une vérité, la grossesse supposée de l’épouse de Léopold III n’a jamais été prouvée ni vérifiée. Mais ce jour-là, les pensées du Souverain étaient sans doute ailleurs, faites d’un mélange de tristesse et de nostalgie de toutes ces scènes de vie de famille dont il fut injustement privé.

Distrait par une carte routière

Les vacances se terminent doucement pour Léopold et Astrid. Roi et reine depuis la mort tragique d’Albert Ier, un an et demi plus tôt à Marche-les-Dames. Ils passent cet été-là dans les Dolomites, puis au lac de Garde, avant un bref séjour à la villa Haslihorn de Küssnacht. Les enfants sont retournés plus tôt à Laeken avec leur nourrice en vue de la rentrée. Il est un peu plus de 9 heures. Le Roi des Belges décide de conduire lui-même sa nouvelle acquisition, une Packard 120 rutilante. Il fait asseoir son chauffeur sur un siège du spider tandis que son épouse est à l’avant, occupée à analyser la carte routière. Si le sol est glissant, le temps est clair et Léopold ne roule pas vite. Sans doute pour épauler Astrid dans la recherche d’un itinéraire, il se penche sur la carte posée sur ses genoux. Le véhicule, peu maniable, se déporte. Le Roi tente de le redresser. Un brusque coup de volant. Une borne. La décapotable traverse un verger derrière un parapet, puis percute un arbre avant de se retrouver dans les roseaux du lac. Les souverains sont éjectés. Le Roi se retrouve allongé sur le gazon, blessé à la main et au genou mais tout à fait conscient. La Reine est projetée la tête en avant contre l’arbre. Le crâne et la cage thoracique sont fracturés. Un témoin raconte avoir vu le Roi serrer durant de longues minutes son épouse, espérant un sursaut de lucidité. Elle décédera un peu plus tard, des suites de ses trop profondes blessures.

Voilà comment un accident, aussi stupide qui soit, met un terme à une histoire si belle, qui commençait à peine à s’écrire, celle d’Astrid, ce “baiser venu du Nord” qui avait conquis le cœur de leur roi et tant fait pour les Belges, en particulier quelques mois plus tôt, alors que frappait encore la crise économique. On raconte qu’une voyante d’Onkerzele, Léonie, avait prédit sa mort avec ces mots : « De Koningin kust de nacht », « La Reine embrasse la nuit ». Plus stupéfiant encore, les souvenirs d’Anna Sparre, la meilleure amie d’Astrid, qui n’a jamais oublié les propos qu’elle lui avait tenus dix jours avant l’accident. « J’ai si peur, parfois, de mourir avant Léopold. J’y pense souvent. » Les destins les plus tragiques sont toujours entourés de mystère, et celui de la reine Astrid n’y fait pas exception. À Paris, tout près du pont de l’Alma, se dresse une place Reine Astrid. Le hasard voudra que, 62 ans plus tard, presque jour pour jour, une autre “princesse des cœurs” connaisse la même issue. Celle d’un accident de la route. Sordide. Et si cruellement banal.

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