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Hôpitaux: remue-ménage dans les   cuisines !

Des établissements de soins sont en train de réviser leurs plateaux-repas. Reportage à l’hôpital Erasme où, depuis 2016, le service diététique émet de nouveaux critères de qualité.

Temps de lecture: 11 min

Qui ne s’est jamais plaint (ou ne connaît pas quelqu’un qui l’ait fait) des plateaux-repas qui lui ont été servis lors d’un séjour à l’hôpital ? Cela semble presque devenu une litanie d’une banalité affligeante : à l’hosto, on mange mal, pas suffisamment, à des heures incongrues (qui a envie d’un repas du soir servi à 17 heures, au moment où les Anglais, eux, entament le tea-time ?) et parfois avec d’énormes difficultés pour se nourrir sans aide. Nous avons donc tenté de comprendre ce qui pouvait bien justifier de telles considérations. La société française Sodexo qui, comme l’annonce son site internet, représente en Belgique 4.000 collaborateurs, 1.200 sites et un chiffre d’affaires de 430 millions d’euros, détient le quasi-monopole du marché de la restauration collective. On retrouve donc les plats estampillés du logo bleu-blanc-rouge dans la plupart des lieux où interviennent des fonds publics (écoles, universités, homes, entreprises, prisons, hôpitaux…).

La grande majorité des établissements hospitaliers font donc appel à ce fournisseur pour nourrir leurs ouailles. Parmi eux, l’Hôpital Erasme à Bruxelles, qui doit fournir quotidiennement trois repas (et parfois aussi une collation) à plus de 800 patients hospitalisés. Nous y avons rencontré la diététicienne Sylvie Farine, chef de service chargée de la supervision de toute l’organisation de ces repas, depuis la confection de ceux-ci jusqu’à leur acheminement vers les patients hospitalisés. Et là, surprise ! La feuille des menus, étalée devant nous, révèle des... plats appétissants. Nulle part on n’y découvre "la petite tartine blanche avec son carré de fromage de Hollande et le yaourt maigre nature en guise de dessert" auxquels bon nombre de personnes font référence lorsqu’elles évoquent leurs souvenirs hospitaliers. Alors, de deux choses l’une : soit la politique de confection des repas a complètement changé au cours de ces derniers mois, soit les patients ne racontent pas les choses de manière très objective. Ou les deux à la fois.

Sylvie Farine, diététicienne, chef de service à l’hôpital Erasme : «
C’est surtout dur pour les patients qui sont soumis à des régimes spécifiques.
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Sylvie Farine, diététicienne, chef de service à l’hôpital Erasme : « C’est surtout dur pour les patients qui sont soumis à des régimes spécifiques. »

Des menus adaptés

« Dans 45 % des cas, le menu ordinaire convient aux personnes hospitalisées, nous explique Sylvie Farine. Dans les autres cas, soit les repas suivent une prescription médicale adaptée à la pathologie du patient, soit ils sont plus spécifiques au service dans lequel ils sont servis. Nous prévoyons ainsi un menu spécial pour les patients âgés de plus de 75 ans, dont les ingrédients sont enrichis et plus tendres afin de faciliter la mastication. Les soupes et les purées, par exemple, sont plus riches et un morceau de tarte leur est servi l’après-midi, en guise de collation. Pour les adolescents, c’est pareil : nous prévoyons une collation supplémentaire et parfois, pour leur faire plaisir, on leur permet d’aller chercher des frites au self-service pour compléter le menu du jour. L’équilibre alimentaire, c’est important, mais une exception de temps à autre permet aux ados hospitalisés de garder le moral ! C’est pareil pour les enfants pour lesquels nous préparons souvent des crêpes en collation l’après-midi… »

Ce n’est pas tout : les patients ont également le droit de faire part, lors de leur admission, de leur aversion pour certains aliments ou du fait qu’ils respectent des régimes particuliers (sans gluten, végétarien…). Enfin, il faut savoir que 40 % des patients hospitalisés présentent un risque de dénutrition. La préparation de tous ces repas demande donc une organisation sans failles. Dans un hôpital, il n’y a en effet pas droit à l’erreur. Pour mieux comprendre la difficulté que cela représente, il faut visualiser l’organisation de deux repas principaux par jour pour plus de 800 personnes, dont seulement près de la moitié mangera la même chose… Qu’il y ait des dents qui grincent est évidemment compréhensible, ne serait-ce que parce que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Il y a donc des plateaux qui reviennent avec leur contenu à peine entamé, voire pas du tout. « C’est surtout dur pour les patients qui sont soumis à des régimes spécifiques », constate la diététicienne. Les dialysés par exemple, qui mangent peu salé, ceux qui ont des problèmes gastriques et sont soumis à un régime pauvre en fibres, les personnes (2,4 %) qui doivent être nourries "par voie entérale" (à l’aide d’une poche) ou encore celles qui ont des problèmes de fausse déglutition auxquelles on donne des aliments faciles à avaler. Certains patients ne reçoivent du coup que des soupes, des jus et autres compotes ou purées. Ceux qui sortent de la salle d’op’ n’ont souvent droit qu’à du thé, du bouillon et des biscottes… « Bon nombre de patients ont des a priori vis-à-vis de la cuisine de collectivité, à cela vous ajoutez le manque d’appétit lié à la maladie et les contraintes alimentaires prescrites par le médecin et vous aurez compris pourquoi tant de gens se plaignent », sourit Sylvie Farine. « Le problème qui arrive souvent, c’est qu’à leur arrivée, les gens disent qu’ils n’aiment pas le fromage, ne veulent pas d’œufs et pas de viande non plus. Alors nous, question protéines, on n’a plus que le poisson à leur offrir. Après, ils rouspètent parce qu’ils ont eu du poisson… »

À l’Hôpital Erasme, la purée est dorénavant faite maison et, si les épinards sont surgelés, le poisson pané contient moins de chapelure.
À l’Hôpital Erasme, la purée est dorénavant faite maison et, si les épinards sont surgelés, le poisson pané contient moins de chapelure.

Des dégustations avec les patients

À l’Hôpital Erasme, les repas sont préparés sur place, dans l’immense cuisine installée au sous-sol. Depuis 2016, des dégustations sont organisées régulièrement dans des unités de soins, en présence de la diététicienne et du chef-coq de Sodexo, de l’infirmière responsable, d’un aide logistique et de deux ou trois patients à qui l’on demande leur avis. C’est l’occasion de voir ce qui plaît ou déplaît, afin de pouvoir réajuster les menus ou modifier la composition de tel ou tel plat. Une fierté aussi pour le service diététique de l’hôpital quand il parvient à améliorer l’ordinaire avec des demandes bien précises… et que celles-ci sont acceptées. C’est justement grâce à l’une de ses interventions que la diététicienne en chef a pu obtenir que la purée de pommes de terre soit dorénavant "faite maison" et non plus sous forme de mousseline industrielle. La viande fraîche est cuite sur place, les aliments frais privilégiés, à de rares exceptions près, comme les épinards et les salsifis, plus faciles à préparer à partir de leur version surgelée. La marque de pâtes a été changée pour mieux tenir à la cuisson, les fish-sticks contiennent moins de chapelure et les saucisses sont désormais à base de veau. La "carte" de desserts dévoile un moelleux à l’abricot ou des crèmes faites maison ou industrielles "de bonne qualité". Le bio commence à faire son entrée…

Bref, beaucoup de choses ont changé, notamment le repas du soir : tomates/mozzarella/jambon fumé, riz hawaïen au jambon, assiette grecque, salade de poisson, pâté de campagne/salade de pommes de terre, salade de pâtes au jambon, pêches au thon… on est loin de la tartine au fromage blanc ! Au final, les menus sont prévus sur trois semaines, c’est-à-dire trois semaines sans que le même plat réapparaisse : une deadline que même chez soi on aurait du mal à respecter et un laps de temps énorme si l’on considère que les séjours hospitaliers sont de plus en plus courts. Tout cela a-t-il un coût qui va se répercuter sur le prix de la chambre ? « Non, parce que nous travaillons avec de gros volumes, nous répond Sylvie Farine. Et puis, le prix du repas ne comprend pas que celui des aliments : il y a aussi l’infrastructure, le personnel de cuisine, l’emballage… »

Au quotidien, le travail et le stress sont énormes : à 9h15, les menus des nouveaux arrivants doivent avoir été encodés. Les fiches de tous les patients sont ensuite envoyés en cuisine. La préparation des plateaux s’y fait à la chaîne, selon des contraintes d’hygiène rigoureuses, sous le contrôle de l’Afsca. À leur arrivée dans les services, les plateaux (nominatifs) sont vérifiés un à un afin que chaque patient reçoive bien ce qui lui a été prescrit. Les plats chauds doivent être servis "à 65ºC à cœur" et les plats froids à maximum 7ºC. « Un jour, un patient nous a dit que c’était meilleur que chez lui ! », s’amuse la diététicienne. Sans doute un patient qui n’était soumis à aucun régime…

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Des personnes, passées par différents établissements en Belgique, nous ont fait part de leur expérience. Leur mécontentement provient autant de problèmes liés à l’organisation que de carences dans le contenu de l’assiette.

Jean, dégoûté

« Ma femme est déjà passée par sept hôpitaux différents. Beaucoup d’excellentes cliniques, mais question nourriture, mon chien n’en aurait pas voulu ! On sait bien qu’on n’est pas dans un resto 4 étoiles mais même la soupe n’est pas bonne ! Cela fait au moins 20 ans que tout le monde reconnaît que les repas servis à l’hôpital sont immangeables et je ne comprends pas que personne n’a encore jamais réagi. Même le café, souvent proposé aux visiteurs également, est imbuvable. En tout cas, j’ai appris une chose : le café est préparé avec une sorte de sirop que l’on met directement au fond des tasses et que l’on recouvre d’eau chaude. Ce sirop est fabriqué par une marque de café bien connue ; c’est évidemment le système le moins cher sur le marché. »

Freddy, cynique

« Il faut voir le bon côté des choses : la malbouffe dans les hôpitaux fait prospérer les petits magasins alentours ! »

Mathilde, énervée

« Pour mon accouchement, j’ai été admise à la clinique à 5 heures du matin et j’ai accouché à 13 heures. Du coup, quand je suis arrivée dans ma chambre, les plateaux-repas du midi étaient déjà passés ! J’ai dû attendre le prochain, celui du soir… J’étais déjà en hypoglycémie. Heureusement, ma mère est arrivée et est aussitôt redescendue me chercher un steak-frites au resto de la clinique. »

Sophie, organisée

« À deux mois, ma fille a dû être hospitalisée car elle avait la grippe. Comme je l’allaitais, je restais 24 h/24 à l’hosto avec elle. Eh bien, le croirez-vous, ils ne fournissaient aucun repas dans ce cas aux mamans. J’avais la chance d’avoir mon mari et ma famille qui prenaient la relève de temps en temps pour que j’aille chercher quelque chose au petit magasin de l’hôpital, mais dans la chambre à côté de la mienne, il y avait une maman d’origine étrangère toute seule avec son bébé. Elle n’osait pas le laisser pour descendre et donc ne mangeait pas. J’en ai parlé à l’infirmière qui m’a simplement répondu : "Ah oui, c’est comme ça, elle n’a pas de famille..." Alors, j’ai commencé à lui remonter des trucs à manger quand j’y allais pour moi. »

Marylène, consternée

« J’ai été hospitalisée huit jours dans une clinique bruxelloise. J’étais dans une chambre seule, sans régime particulier à suivre, le menu était le même pour tout le monde. Les trois quarts du temps, les plats arrivaient froids. Un jour, j’ai renvoyé le poisson, il sentait horriblement mauvais, visiblement pas frais ! Le soir, on avait invariablement une petite salade avec du pain et du jambon emballés sous vide. Beaucoup de personnes allaient se chercher un petit plat chaud ou un morceau de tarte et un expresso à la cafétéria. Au petit déjeuner, c’était toujours pareil : thé/café, un petit pot de confiture, un carré de beurre et deux tranches de pain sous vide. Au bout de ma semaine d’hôpital, j’avais perdu trois kilos. »

Natalia, compatissante

« Je me souviens être allée voir ma belle-sœur à la maternité. Elle avait subi une césarienne et n’avait pas mangé depuis la veille. Elle est végétarienne. À 17 heures, on lui a servi deux cracottes et un petit ravier de beurre. C’est tout. Quand elle a demandé pourquoi elle recevait si peu, l’infirmière lui a répondu : « Ah, il fallait faire la demande plus tôt ! » Heureusement, ma belle-mère a accouru avec un plat fait maison. Quand on ne reste pas hospitalisé longtemps, ce n’est pas très grave. Mais je plains ceux qui y sont pour une longue période ! »

Benoît, pratique

« J’ai été hospitalisé trois jours dans un hôpital bruxellois. J’en ai gardé un souvenir un peu… "light" ! Enfin, j’imagine que c’était pour mon bien… Le premier jour, la diététicienne est venue me voir pour me demander quels étaient mes goûts. Formidable ! Sauf que, le soir, quand mon plateau est arrivé, il y avait deux tranches de pain blanc emballées sous un film plastique et un yaourt maigre. Alors j’ai tartiné le yaourt sur les tranches de pain… »

Même si l’assiette paraît appétissante, nombre de patients se plaignent du manque de saveurs des plats servis.
Même si l’assiette paraît appétissante, nombre de patients se plaignent du manque de saveurs des plats servis.

Chirec : bientôt une appli pour choisir son menu

Le plat du jour a laissé les visiteurs d’André (92 ans), hospitalisé dans le nouveau complexe hospitalier du Chirec, agréablement surpris : “Potage aux courgettes, omelette, brocolis et couscous avec chutney de tomates. Mousse au chocolat (industrielle) en guise de dessert. Le soir : un délicieux trio de mousses de poisson. Qui plus est, le groupe Chirec est en train d’élaborer une nouvelle application pour smartphones qui permettra aux patients hospitalisés de choisir leurs plats ! Elle devrait être opérationnelle d’ici deux mois.

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Des blancs d’œufs pasteurisés

Magali Jacobs, diététicienne et enseignante à l’Institut Paul Lambin, confirme la difficulté de contenter tout le monde en milieu hospitalier : « C’est lié à la production de repas en grandes quantités. Un hôpital de 1.000 lits ne peut pas servir 1.000 petits déjeuners qui correspondent à ce que chacun aime ! Pour le repas du midi, le fournisseur peut travailler en liaison chaude (dans ce cas, le plat est maintenu au chaud dès la fin de sa préparation, mais il risque plus vite le desséchement), soit en liaison froide (il est alors cuisiné, mis au réfrigérateur et réchauffé au moment de sa mise en place sur le chariot chauffant). Un hachis Parmentier supportera très bien la liaison chaude. Un steak, en revanche, ne supporte ni l’un ni l’autre. La volaille, quant à elle, doit être cuite à 72ºC à cœur, sinon c’est très dangereux. Les gens doivent bien se dire qu’à l’hôpital, ce n’est jamais comme chez soi, ni comme au restaurant ! Le goût se perd toujours un peu. Il faut savoir aussi que, pour des raisons de sécurité alimentaire, certains ingrédients ne peuvent absolument pas entrer dans la composition des repas d’hôpital. C’est le cas du blanc d’œuf cru. Du coup, si vous recevez une mousse au chocolat, sachez qu’elle est faite à base de poudre de chocolat dans laquelle on incorpore un mélange d’œufs qui ont été cassés à l’avance et pasteurisés pour éviter les germes. Enfin, les questions d’organisation compliquent tout : les plateaux du soir doivent être servis à 17 heures, avant le départ des infirmières de jour, et, du coup, les patients sont mécontents. Certains hôpitaux ou services sont plus créatifs que d’autres. Dans les services de soins palliatifs, par exemple, on essaie de satisfaire le plus possible les goûts des patients. »

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