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L’interstitium: le 80e organe du corps humain

Des chercheurs américains ont découvert un nouvel organe, bien caché, et qui jouerait un rôle dans le diagnostic des cancers. Une découverte importante.

Temps de lecture: 5 min

Un organe plus étendu que la peau (qui fait déjà 3 à 4 kilos au total), répandu dans tout le corps et qui ressemble à un tissu avec des microcavités. Un organe majeur, qui aurait jusqu’ici échappé au radar de la recherche. Un organe qui pourrait aider à comprendre les mécanismes du cancer car il intervient dans les métastases. Bref, une avancée comme on en connaît rarement ! L’interstitium est d’ores et déjà annoncé comme le 80e organe du corps humain et il pourrait bien dans un proche avenir intégrer les manuels de médecine. En tout cas, il fait parler. Comme si l’homme avait découvert une part insoupçonnée de lui-même ! Il a été mis au jour par des équipes de l’Icahn School of Medicine at Mount Sinaï de New York, associées aux universités de la même ville et de Pennsylvanie. L’"interstitium" va faire parler de lui, et pour cause : il montre que la médecine n’a pas encore découvert tous les secrets du corps et, dans la foulée, que beaucoup reste à faire. Publiés dans la revue "Scientific Reports", les résultats de son étude passionnent la communauté médicale. Celle-ci doit maintenant valider… ou pas.

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Repéré par endomicroscopie au laser

C’est en utilisant une nouvelle technique d’imagerie microscopique au laser que les chercheurs américains ont détecté son existence. Et comme souvent, c’est au détour d’un examen sur un patient que du neuf a surgi. Le jour de la révélation, les docteurs Petros Benias et David Carr-Locke auscultent les voies biliaires d’un homme pour détecter l’éventuelle présence de cellules cancéreuses. Ils aperçoivent une étrange cavité, « inconnue au bataillon ». Intrigués, ils appellent à l’aide le pathologiste Neil Theise. Et découvrent une couche de tissu autour de nombreux organes, poumons, reins, intestins, voies urinaires. L’interstitium se glisse entre les tissus et prend la forme d’un liquide blanchâtre riche en protéines et essentiel au bon fonctionnement du système lymphatique.

À quoi sert-il ? « À protéger les tissus en cas de choc, comme un amortisseur », soutient Neil Theise. Il couvre l’ensemble du corps, les muscles, le système circulatoire. C’est une sorte de fluide et l’on se demande encore comment on a pu passer à côté de lui depuis si longtemps. Il s’infiltre partout. Les chercheurs ont pu s’en convaincre par des analyses où intervient un liquide fluorescent qui apparaît dans l’espace interstitiel. L’interstitium est très discret mais il est partout. Avec une foule de minicompartiments, il agit à tous les niveaux. Il évite aux tissus de se déchirer. L’intersititium ouvre aussi de réels espoirs dans la détection du cancer, si l’on prélève le liquide qu’il contient. À ce titre, il pourrait constituer « un puissant outil de diagnostic » selon les médecins. Pourquoi ? Car les cavités de l’interstitium peuvent jouer un rôle dans la propagation des cellules cancéreuses, en facilitant les métastases.

D.R.
D.R.

Une matière commune

Selon certains spécialistes, l’interstitium ne serait pas à proprement parler « un nouvel organe ». Ils admettent sa forte présence, confirmée par Neil Theise fixant le liquide à dix litres par adulte, selon ce qu’il a déclaré sur CNN. Il est important, mais est-il réellement un organe comme le foie, le cœur, l’estomac ? De l’avis de Michaël Nathanson, professeur de médecine à Yale, ce n’est pas le cas. Pour lui, l’interstitium est une matière commune à nombre d’organes, ce qui ne suffit pas à le ranger parmi eux. Sur CNN, il a développé ses réserves par une comparaison avec les vaisseaux sanguins : « Ceux-ci se retrouvent dans tous les organes, comme l’interstitium, mais ils ne sont pas eux-mêmes un organe à part entière. »

La définition précise reste ouverte. Mais nul ne peut nier que, soudain, la médecine a progressé dans la connaissance du corps humain. Celle-ci avance sans cesse. On y travaille depuis si longtemps, depuis Vésale et "La leçon d’anatomie" peinte par Rembrandt. En décembre 2016, un 79e organe avait été identifié. Le mésentère relie l’intestin aux parois abdominales. Méconnu, il a pris sa place dans la chaîne de connaissances. Le 80e semble plus large mais aussi plus complexe à cerner. L’homme, demain matin, continuera d’explorer ses organes, les plus visibles et les autres qui agissent dans l’ombre. L’interstitium entre à son tour dans l’arsenal thérapeutique. Il était déjà en partie connu. Et il reste à inventorier toutes ses fonctions. On doit encore affiner les recherches. Preuve que la médecine a encore beaucoup à sonder.

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"Cela aidera à mieux comprendre la progression des maladies"

Catherine Behets (photo) est professeure d’anatomie à l’UCL. Elle éclaire l’avancée réelle promise par l’interstitium.

Avez-vous été étonnée par la découverte de ce fameux "80e organe" ?

Il était déjà plus ou moins connu. Dans l’article de "Scientific Report", il n’est pas fait allusion à un nouvel organe. Les auteurs revisitent l’interstitium qui fait d’ailleurs partie dès le début du cursus de médecine. On nous parle de tissus de soutien composés de cellules et d’une matrice avec une substance qui prend la forme d’un gel liquide où se trouvent des fibres. Ce qui est nouveau, ce sont les techniques d’imagerie qui nous l’apportent : elles nous font voir des tissus vivants. On a davantage conscience que, partout dans l’organisme, ces tissus de soutien sont bien organisés et qu’ils varient.

L’interstitium est donc enseigné à vos étudiants, dans les syllabus, au cours, en labo ?

Pas en anatomie comme on l’entend, mais bien en anatomie microscopique, en étude de tissus (histologie) et en physiologie. On apprend la présence de ce liquide en médecine, en kinésithérapie et en biologie.

Sera-t-il validé comme un organe à part entière par la communauté scientifique internationale ?

Personnellement, je ne crois pas.

Ce qui est fascinant dans cette aventure, c’est qu’elle nous rappelle que rien n’est jamais achevé ni totalement résolu !

Exact. Du coup, on en sait plus sur l’architecture tridimensionnelle des tissus. J’ajouterais même que la Belgique dispose des outils pour mener ce genre de recherches de pointe dans le but de mieux percer des tissus au microscope.

Certains prétendent que tous les organes du corps sont connus…

Tout dépend de la façon dont on considère et nomme les organes. Nous avons 200 os et ce ne sont pas des organes. Nous avons aussi chacun quelque 5 litres de sang et les vaisseaux sanguins ne sont pas des organes non plus. En réalité, le principal mérite de cette découverte – qu’on l’appelle le 80e organe ou pas – c’est qu’elle va nous permettre d’aller plus loin dans la connaissance du développement et de la progression des maladies.

Catherine Behets. © UCL
Catherine Behets. © UCL

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