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Le X à portée de clic

La pornographie s’est complètement banalisée. Mais cette évolution a-t-elle modifié l’industrie du X? Réponse de Marie Maurisse, qui a mené une enquête publiée dans un livre titré «Planète Porn».

Temps de lecture: 5 min

92 milliards de vidéos vues gratuitement sur le site «Youporn» en 2016, soit quelque douze films X vus chaque année par chaque habitant de la Planète! 30 milliards de visites pour «PornHub» en 2017, soit 50.000 recherches par minute. Quelque 22% des travailleurs consultent des sites pornos au boulot. Un quart des Belges sont des adeptes réguliers du X. Les chiffres donnent le tournis. Il faut dire que la pornographie est aujourd’hui disponible facilement, offerte gratuitement, à portée de clic. Cette pratique est-elle en train de changer nos désirs, de modifier nos comportements sexuels, de nous éloigner de la réalité des ébats et – tabou suprême – de pervertir nos enfants? Pour répondre à ces questions essentielles, on se plonge dans «Planète porn». De Los Angeles à Budapest, en passant par Paris, Newcastle et Barcelone, la journaliste française Marie Maurisse, correspondante du «Monde» a pendant trois ans mené l’enquête, assisté à des tournages, interrogé les acteurs et réalisateurs de films, businessman du X, sexologues…

Maurisse Marie 1© D.R.

Le secteur du X a connu une grave crise avec l’arrivée des vidéos pornos tournées par des amateurs…

L’arrivée de la plate-forme gratuite «YouPorn» il y a une dizaine d’années, a complètement bouleversé cette industrie. Comme dans d’autres domaines économiques, il y a eu une sorte d’«ubérisation» que les professionnels n’avaient absolument pas anticipée. Des studios ont dû fermer, d’autres ont vu leurs chiffres d’affaires divisés de moitié.

Comment l’industrie du X a-t-elle réagi?

Les professionnels ont modifié les conditions de tournage. Les temps de prises de vue ont été raccourcis, les tarifs des acteurs ont été revus à la baisse. Autre adaptation du secteur: la création des «camgirls»: les filles font un spectacle érotique privé par l’intermédiaire d’une webcam. Les femmes qui offrent ce service sont officiellement indépendantes mais, en pratique, elles reversent la moitié et parfois même les trois-quarts de ce qu’elles gagnent à la plate-forme qui les héberge. En Roumanie et en Colombie, des immeubles entiers divisés en chambres sont loués à des camgirls par les industriels du X. Ce service est bien évidemment payant et a l’avantage de ne pas être piratable. Les professionnels ont encore réagi en investissant dans des casques de réalité virtuelle qui offrent des vidéos pornos en 3D.

Cette ubérisation n’a-t-elle pas fragilisé davantage les actrices du X?

Avant tout chose, il faut savoir que les filles sont mieux payées que les garçons. Ce sont elles les «stars» des vidéos pornos. Elles ont toute l’attention de la caméra qui se focalise à 90% sur leur corps et leur visage, car les vidéos sont faites pour le spectateur qui paie, à savoir l’homme blanc qui a entre 35 et 60 ans. Mais elles ne restent pas longtemps des stars – quelques mois la plupart du temps, quelques années au mieux – car ce monde a besoin constamment de nouvelles têtes et nouveaux corps. L’ubérisation de ce secteur fait que les filles sont véritablement «essorées»: elles travaillent 10-12 heures par jour pour 1.000 dollars, de plus en plus souvent pour moins: 800 dollars. Les filles sont recrutées très jeunes – parfois vierges – et elles commencent par des vidéos de masturbation, puis des scènes lesbiennes, ensuite des scènes plus hards…

Quel est le profil de ces filles?

Il n’y a pas un profil unique. J’ai vu – avec émotion – des jeunes filles vierges obligées de pratiquer le Kama-sutra devant une caméra, mais j’ai également rencontré des femmes pleinement épanouies par cette activité. Les profils sont multiples. Aux États-Unis et en Europe, fascinées par leur image, elles rêvent de notoriété et pensent – à tort – qu’après les vidéos pornos, elles vont pouvoir faire du cinéma. D’autres ont un réel intérêt pour le sexe pour de multiples raisons, comme celle de s’affranchir d’un milieu conservateur. Par contre à l’est de l’Europe, à Prague ou Budapest, j’ai vu de nombreuses filles dans le besoin qui cherchaient seulement à se faire de l’argent.

Il paraît que les femmes sont de plus en plus nombreuses à regarder des vidéos pornos?

Elles forment un tiers des spectateurs. Par exemple, elles constituent 26% des visiteurs du site PornHub. Et on sait que les vidéos qu’elles regardent sont loin d’être soft. Elles sont même souvent plus violentes que celles que les hommes regardent. Les femmes choisissent la thématique «viol» Cela a été confirmé par les études sur le porno menées par Clarissa Smith, de l’université de Sunderland, en Grande-Bretagne. On est loin des images traditionnelles que la société véhicule de la femme. Même le secteur du X n’a pas compris cela, lui qui néglige complètement le public féminin. Les hommes, eux, optent plutôt pour la catégorie «lesbiennes». Ils aiment voir deux femmes faire l’amour.

Le X est banalisé, accessible à tous et même aux plus jeunes. Cela inquiète certains pays comme l’Angleterre…

La Grande-Bretagne a opté pour la censure et oblige désormais le consommateur à donner les références de sa carte d’identité et de sa carte de crédit pour pouvoir entrer sur les sites pornos. Elle veut ainsi protéger ses jeunes pour qu’ils ne soient pas contaminés par la pornographie. Mais cette attitude est surprenante. S’il est vrai que les jeunes voient de plus en plus tôt des images X, dès 10 ans, personnellement, je préfère l’éducation. Les cours d’éducation sexuelle sont les meilleurs outils pour faire comprendre aux jeunes ce qu’est la pornographie. Il faut dédramatiser, expliquer, mettre des limites mais ne pas interdire.

Vous n’êtes pas inquiète de l’invasion de la pornographie?

Non! La pornographie existe depuis la préhistoire: on a découvert des images «pornos» sur les parois des grottes. Et à chaque fois que la pornographie s’est démocratisée, on a vu des mouvements de recul. Quand la littérature érotique est arrivée au XIXe siècle, des débats ont enflammé le parlement qui se demandait ce qu’allaient devenir les enfants élevées par les femmes qui avaient de telles lectures. La contamination des enfants est la peur ultime. Je pense que la pornographie est un progrès. Elle offre du plaisir à tous et libère des tensions. Elle peut aussi avoir une certaine fonction éducative pour les jeunes comme pour les adultes.

Internet a démocratisé le porno?

Absolument. Avant, la pornographie était réservée aux personnes aisées. Aujourd’hui elles accessible à tous. Les inégalités ont disparu!

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Planète porno», éd. Stock, 224 p. 18 euros.

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