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La violence s’invite à l’école: nos témoignages

Des élèves sans limites, des directions sans poigne : deux professeurs racontent la violence vécue au quotidien dans des écoles secondaires belges.

Temps de lecture: 5 min

Il est l’un des seuls Belges à avoir pris la parole sur les réseaux sociaux, en France. Sur Twitter, il répond au nom de « Doc Omega » et compte quelque 2.000 abonnés. Quand il a vu défiler les témoignages de professeurs français victimes de violences physiques dans l’exercice de leur sacerdoce, il n’a pas hésité à dégainer son clavier et à balancer les deux incidents subis dans sa salle de classe. « Soir mag » a contacté ce professeur d’anglais qui officie dans le secondaire inférieur en province de Namur pour qu’il nous conte ses déboires. « Je suis content qu’on en parle, mais je ne veux pas non plus avoir de problèmes », prévient-il. Son vrai prénom est tu – appelons-le Nathan. Il confirme enseigner dans une zone « calme » et ne faire face, le plus souvent, qu’à des menaces : « Je vais crever tes pneus », « Je t’attends à la sortie ». Des intimidations, déjà trop.

Parfois, ça déborde. Aujourd’hui, Nathan travaille dans l’enseignement officiel et a dû faire face à un acte de violence dont il livre les détails. « Un élève voulait absolument quitter le cours. J’avais pour interdiction de le laisser faire », débite-t-il. Notons au passage que plusieurs de ses collègues avaient déjà demandé l’expulsion définitive du fauteur de troubles. Sans suite. « Je me suis interposé face à cet élève bien bâti. Je ne voulais pas qu’il passe. Il y a eu altercation physique. J’ai été bousculé plusieurs fois. Il a essayé de me frapper : coup de poing, coup de tête. J’ai esquivé, mais j’ai quand même eu un hématome à la poitrine dans la bousculade », rembobine celui qui manie mieux la langue de Shakespeare que celle des crochets. La direction du lycée namurois estime que Nathan n’a pas su « maîtriser la situation » et qu’il s’est lui-même « montré violent avec l’élève ». « Si je m’étais vraiment montré violent, l’élève était K-O », réplique-t-il illico du haut de son mètre 85 et de ses treize ans d’enseignement. Soutenu par ses collègues, il menace l’administration de l’établissement : une démission est envisagée en cas d’immobilisme. La direction plie. Une procédure d’expulsion définitive est lancée.

« On va te violer ! »

À en croire les témoins interrogés, les établissements sont parfois frileux à l’idée de sanctionner un élève. Marine, professeure de sciences humaines dans une école technique d’Anderlecht, a vécu ce type de déconvenue. « La direction ne comprend pas toujours », confirme-t-elle. « J’ai eu le cas d’un élève qui m’a filmé de dos et qui a posté cela sur les réseaux sociaux », le tout assorti de commentaires salaces et de dessins explicites. « Ça circulait dans l’école et en dehors. Finalement, l’élève s’est dénoncé. Je suis allé voir la direction qui m’a dit : “ Tu sais, il a fait ça parce qu’il te trouve jolie, c’était très respectueux”  », raconte celle qui a finalement obtenu l’expulsion de l’élève en question. « Quelqu’un qui filme mes fesses et fout ça sur les réseaux sociaux, ce n’est pas une marque de respect. Je viens pour bosser, pas pour qu’on me salisse ! »

S’ils font moins de vagues que les Français, les professeurs belges sont aussi victimes de violences. Le récit de Marine ne fait que confirmer cette affirmation. Elle y fait l’étalage d’autres incidents, qu’elle préfère appeler « anecdotes », par pudeur. Faire tomber le tabou des violences, oui, jouer le sensationnalisme, très peu pour elle. « Pour faire ce métier, il faut avoir la fibre, un solide mental et beaucoup de recul », raconte l’historienne de formation. Elle n’excuse pas les élèves, mais décèle une certaine « fragilité » muée en agressivité. Marine révèle quelques fêlures au long de cette carrière dans l’enseignement professionnel : « Dans ma première école, j’ai vraiment eu peur. J’ai été menacée : “On va te violer, on va te séquestrer, tu ne verras plus jamais le jour.” C’est chaud. Mon premier mois a été difficile… » Impossible d’écrire au tableau et de tourner le dos aux élèves au risque de se faire charrier, voler ou de ramasser un stylo sur la tête. Après un an, elle part découvrir de nouveaux horizons.

Sanction… quelle sanction ?

Marine tient bon, contrairement à certains autres collègues qui ne font pas long feu dans ces établissements bruxellois réputés « difficiles ». « Certains n’ont tenu qu’un an parce qu’ils ne supportaient pas cette violence quotidienne, les intimidations… », brosse-t-elle. Les enseignants doivent composer avec des profils atypiques : certains débarquent dans l’école après quatre renvois consécutifs, d’autres suivent les cours un bracelet électronique au pied. « Ce ne sont pas des anges », reconnaît Marine. Pour autant, elle n’a jamais connu de réelles agressions physiques. Nathan, depuis son école de province, confirme la fréquence des menaces et relate le deuxième incident évoqué sur son compte Twitter. Il surveillait un examen de fin d’année : « Deux élèves ont rendu une feuille blanche et voulaient quitter la classe. La direction avait imposé aux professeurs de garder les élèves dans le local jusqu’au bout. Ils ont essayé de sortir, j’ai bloqué le passage. Ils ont été se rasseoir. Puis ils se sont levés et ont pris chacun leur chaise en les brandissant vers moi d’un air menaçant », raconte le professeur.

Nathan pèse 100 kilos, pas vraiment un « gringalet ». Il n’a pas bougé et a joué le tout pour le tout. Résultat payant : les deux perturbateurs ont regagné leur place. « J’ai considéré ça comme une menace envers mon intégrité physique, donc j’ai rapporté l’incident à ma direction qui n’a absolument rien fait. Rien du tout. Les élèves se sont réinscrits l’année suivante. Au mois de septembre, j’étais ailleurs », regrette celui qui n’effectuait qu’un remplacement. Les incidents répertoriés ici se passent au sein des deux réseaux : libre et officiel. Le constat est similaire, la violence existe et les directions réagissent souvent en dernier recours. Les professeurs qui animent ces lignes n’envisagent, eux, aucune autre carrière. Marine résume pour deux : « Cela reste un métier fabuleux : je n’envisage pas d’en changer pour l’instant. Même avec la peur au ventre… »

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