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Abus de biens sociaux: gare aux dérapages

Régulièrement, des dirigeants d’entreprise sont poursuivis pour confusion de patrimoine. Pris la main dans le sac, ils ont eu le tort de croire que leur structure et leur portefeuille privé ne faisaient qu’un.

Journaliste d'investigation Temps de lecture: 5 min

Septembre 2013, Armand Khaïda, ancien administrateur du Casino de Dinant, est suspecté d’avoir blanchi 8 millions d’euros « pour mener un train de vie luxueux ». Près de 25 millions d’euros sont également saisis sous forme d’immeubles, de bijoux et de liquidités sur des comptes bancaires. Une cinquantaine de personnes comparaissent à ses côtés. « J’avais le sentiment d’être dans une machine infernale sans freins », dira le prévenu devant le tribunal correctionnel de Namur. Le 21 mai 2014, il est condamné à une peine de trois ans de prison avec sursis, ainsi qu’à 100.000 euros d’amende et 3,5 millions d’euros de confiscation. Décembre 2016, Stéphane Jourdain, l’ancien propriétaire du Cercle de Lorraine, des Jardins d’Annevoie et des Laminoirs de Longtain, est suspecté d’avoir créé de fausses ASBL afin de tirer profit du statut fiscal avantageux de ce type de sociétés. L’homme d’affaires bruxellois se justifie : les transferts d’argent entre les comptes de ses sociétés et ses comptes privés résultent d’un « remboursement de créances » et il ne s’agissait donc en rien de prélèvements. Le 14 mai 2018, il est cependant condamné à 18 mois avec sursis. Il se voit également confisquer 1,25 million d’euros. Octobre 2017, le Samusocial licencie sans indemnités Pascale Peraita pour abus de biens sociaux. Frais de bouche non justifiés, entre autres, l’ex-administratrice déléguée aurait aussi fait usage de services de l’ASBL à des fins personnelles. Sanction excessive ? Si inviter un ami au restaurant aux frais de sa société peut paraître banal, des faux frais de représentation aux détournements de fonds, les mauvaises habitudes se prennent vite et l’abus est une infraction pénale au regard de notre droit.

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La tentation de vivre sur la bête

Le 26 mars 2013, le tribunal correctionnel de Namur condamne Kamel A. à une peine de douze mois de prison avec sursis, 1.000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction professionnelle. Cet ex-administrateur de trois sociétés sambrevilloises ainsi que Philippe C., condamné quant à lui à six mois de prison avec sursis, sont reconnus coupables de blanchiment d’argent, abus de biens sociaux, organisation criminelle et escroquerie. Chaque année, des centaines de dirigeants de société sont poursuivis pour le même délit. Nombre d’entre eux n’ont pas l’impression d’« abuser » de leur statut, d’autant que les sommes en jeu paraissent parfois à des années-lumière de celles évoquées lors de grands procès retentissants. Il semble ainsi anodin d’acheter des livres ou des CD avec une carte de société. Et pourtant, pour que le délit soit constitué, peu importe le montant des sommes détournées. Qu’un dirigeant fasse le plein d’essence de sa voiture personnelle avec la carte bancaire de l’entreprise ou qu’il achète une tablette à son petit dernier en rentrant la facture sous couvert de « matériel informatique », dans tous les cas il y a infraction. Peut ainsi être sanctionné par l’article 492 bis du Code pénal l’octroi par une société d’un prêt sans intérêt à son dirigeant, le paiement par la société d’amendes propres au dirigeant, les frais personnels d’avocat de celui-ci ou encore le paiement de frais de voyage propres au dirigeant ou à sa famille. La forme sociétaire fait écran entre le patrimoine de son dirigeant et le sien propre. La responsabilité limitée des dirigeants d’entreprise exige en contrepartie que ceux-ci n’abusent pas des biens sociaux ni du crédit.

Rémunérations excessives et abus de crédit

À l’identique du scandale Publifin révélé en 2016 (NDLR : cette intercommunale liégeoise où des élus ont été grassement payés pour quelques réunions auxquelles ils n’étaient pas tenus d’assister), il y a bien sûr le cas de l’emploi fictif. Le dirigeant qui perçoit une rémunération, même modique, sans exercer aucune activité sera déclaré coupable d’abus de biens sociaux. « Mais il en va de même lorsqu’un dirigeant touche une rémunération excessive par rapport au travail qu’il a fourni », nous précise Anne Guns, conseil en management. « En outre, le dirigeant ne peut ignorer la dégradation financière de sa société. Cela doit l’inciter à limiter les prélèvements injustifiés. En clair, si les affaires vont mal et que le patron ne baisse pas son salaire, il peut aussi se voir reprocher un abus de crédit. Même l’inscription en compte courant des prélèvements effectués, bien que comptablement correcte, n’enlève rien au caractère illicite des faits. Une gestion saine impose donc de différencier strictement le patrimoine professionnel du patrimoine privé. Et les juges font de plus en plus un usage extensif de la qualification. » L’abus de biens sociaux est, en effet, un délit instantané et ce quand bien même la situation aurait-elle été régularisée par le dirigeant par la suite.

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La honte d’être pris en défaut

Le 12 novembre dernier, la présidente de l’association française « Mobilisation des policiers en colère », Maggy Biskupski (36 ans), se suicide suite à des dysfonctionnements liés à la gestion de son mouvement. Dans un groupe WhatsApp commun aux membres de son association, elle avait publié un ultime message dans lequel elle reconnaissait elle-même s’être servie dans le budget de l’ASBL afin de rembourser un prêt personnel. Pour préserver l’image de l’association, ses collègues la poussaient à ce qu’elle se dénonce publiquement car ils craignaient que leurs soucis financiers soient rendus publics. La policière, décrite « sincère dans son combat », voulait seulement rembourser ce qu’elle avait pris mais « elle se sentait dépassée par la situation », explique un proche du dossier par voie de presse. « Je le constate au quotidien dans mes interventions. Lorsqu’un patron se retrouve confronté à son seuil de compétence ou lorsqu’il confronte sa limite de compétence au regard de son personnel ou vis-à-vis de l’extérieur, cela peut être humainement très compliqué à porter », précise Anne Guns. « Nous avons pourtant 1.500.000 PME en Belgique et une sur quinze seulement surperforme parce que la plupart des patrons passent leur temps à essayer d’éteindre des incendies en termes de mauvaise gestion. L’équation est pourtant simple : il vaut mille fois mieux révéler sa croissance par des optimisations de coûts que de presser le citron et tarir la source. »

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