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«Le sexe est un des moyens de se réapproprier du pouvoir»

Dans « Pucelle », Florence Dupré La Tour raconte son enfance et le tabou de la sexualité. Interview d’une auteure talentueuse en révolte contre la domination patriarcale.

Journaliste Temps de lecture: 4 min

La chose ne doit pas être dite ! Chez les Dupré La Tour, on ne parle pas de sexe. Papa travaille, maman s’occupe des enfants et toute la famille va à l’église. Mais dans cette famille nombreuse si traditionnelle, il y a Florence ! Florence, c’est une sauvageonne révoltée et surtout une petite fille intelligente et curieuse qui pose des questions. Elle interroge le corps, la naissance des bébés, les règles, les relations homme et femme, la place des femmes. Elle ne comprend pas les réponses parentales, leur malaise et cherche par elle-même des réponses.

Dans le premier tome de cette nouvelle série « Pucelle », l’auteure Florence Dupré La Tour raconte son enfance en se focalisant sur les dimensions de l’intime et du genre. Par ce témoignage vivifiant et intelligent, elle personnifie la prise de conscience et la révolte des femmes longtemps enfermées dans les rôles d’épouse et de mère. Elle montre aussi comment le tabou de la sexualité peut engendrer un imaginaire sombre et des comportements agressifs chez l’enfant.

Dupre la Tour Florence couleur

Vos parents ont beaucoup de difficultés à évoquer l’intime et parler de sexualité. Leur silence est lourd de conséquences…

Le silence développe l’imaginaire de l’enfant et chez moi il fut sombre et induisit l’idée que la sexualité est un mal.

Pourquoi tant de colère vous habite-t-il ? Votre maman ne semble guère malheureuse de la situation qu’elle vit alors ?

Je crois que ma réaction est liée à mon caractère ; j’ai toujours été révoltée par l’injustice. Et en ce qui concerne maman, à cette époque, elle n’était pas malheureuse ou du moins elle n’en avait pas l’air. Elle subissait la soumission dans le non-dit. Il n’est pas facile de ne pas être écoutée, ni mise en valeur par la société.

Votre premier questionnement sexuel surgit quand vous voyez votre mère enceinte. Vous vous demandez comment on fait des bébés et il vous est répondu que le papa met une petite graine dans le ventre de la maman.

Cette explication m’a rassurée et puis petit à petit, en me renseignant et en observant le comportement des animaux, je me rends compte que les choses sont plus complexes et plus dangereuses.

Vous découvrez lors d’un bain avec votre cousin qu’il a un pénis et vous entrez en colère. Plus tard à l’école, un garçon vous dit que vous ne pouvez pas jouer au foot car vous n’avez pas de zizi. Nouvelle colère ! Vous semblez ici confirmer la thèse de Freud qui affirme que les filles se sentent frustrées de ne pas avoir de pénis et d’être des corps castrés… Et toujours selon Freud, ce désir de pénis sera comblé par la grossesse et la maternité.

Je serais d’accord avec Freud pour autant que l’on remplace le mot pénis par celui de pouvoir. Les femmes ne cherchent pas le pénis mais le pouvoir et la grossesse est une forme de pouvoir. Mais moi je n’ai jamais rêvé d’avoir un pénis.

FILLE-1

Pourtant vous ne voulez pas être une fille.

Je ne veux pas être définie par ce qu’on associe au féminin : l’absence, le silence, le manque, le rien. Le sexe féminin n’est pas un trou ! Quand on insiste sur ce vide physique, il induit un vide de la pensée.

Les règles sont un autre tabou de votre éducation

Mes parents m’ont expliqué les règles et tout ce dont je me souviens, c’est de leur gêne. Celle-ci a fait croire à l’enfant que j’étais que tout cela était mal. Leur malaise a produit des choses violentes dans mon imaginaire.

Comment vivre en paix avec cette inégalité de genre ?

On n’y parvient pas. On est tous les jours confronté à ces rapports inégaux de genre ou de classe.

La création n’aide pas ? Votre album n’est-il pas militant ?

Des lecteurs m’ont fait part de leur soulagement et de leur ébahissement car la plongée dans la psyché de la petite fille que j’étais leur a mis en lumière la condition des femmes.

Camille Froidevaux-Metterie écrit dans son dernier ouvrage « Le corps des femmes » que le corps féminin dans sa dimension génitale est « le premier et l’ultime bastion de la domination masculine ». Aujourd’hui, nous serions selon la philosophe française au 6 e grand moment de l’histoire féministe qui est la « bataille de l’intime ». Nous vivons un tournant qu’elle appelle génital de la pensée et de la lutte féministes. Vous souscrivez ?

Totalement ! Le corps est le point essentiel de la libération des femmes. Sa partie la plus intime est tue et souvent ignorée des femmes elles-mêmes qui n’osent pas regarder leur intimité. Mais les choses changent aujourd’hui ; des artistes dessinent des vulves et montrent combien elles sont toutes différentes et bien éloignées des sexes normalisés de la pornographie.

Le sexe est pour vous le moyen de se libérer de la domination masculine ?

C’est un des moyens de se réapproprier du pouvoir et de la puissance. Il y en a d’autres.

Couverture

Par Florence Dupré Latour, éd. Dargaud, 184 p., 19,99euros.

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