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Sexe : c’est quoi un vrai mec ?

Dans son essai « Désirer comme un homme », Florian Vörös interroge la masculinité en explorant les imaginaires sexuels des hommes et leur visionnage de films pornographiques. Interview du sociologue et chercheur français attaché à l’Université de Lille.

Journaliste Temps de lecture: 6 min

Quel homme ne regarde-t-il pas du porno ? Selon l’enquête « Contexte de la sexualité en France » (2006), la moitié des hommes déclare regarder régulièrement du X, contre 20 % des femmes. Et souvent ils regardent des films pornographiques qui suivent le traditionnel script « fellation-coït-éjaculation ». Tout comme, ils aiment mater des scènes où les mâles sont puissants, dominants, endurants, défonçant longuement et fermement des femmes soumises.

Mais que dit ce choix d’images de l’imaginaire sexuel masculin ? Participe-t-il à la construction de la virilité et de la domination patriarcale ? Les réponses à ces questions se trouvent dans l’ouvrage « Désirer comme un homme » de Florian Vörös qui interroge la domination masculine par le biais du visionnage de pornographie. Pour ce faire, le chercheur français attaché à l’Université de Lille s’est longtemps entretenu avec 34 hommes âgés de 20 à 60 ans. Il les a écoutés, questionnés, parfois bousculés par des réflexions qui interrogent le fondement des scripts sexuels considérés comme normaux. Dans son « Désirer comme un homme », il nous livre leurs conceptions de la virilité et les analyse. La lecture de cet essai est des plus intéressants même si les explications masculines et conceptions de la virilité semblent parfois consternantes. On s’inquiète de voir qu’en ce troisième millénaire, la conception d’une virilité dominante est si peu remise en question, toujours considérée comme naturelle !

Vörös_Florian_portrait_copyright Yutharie Gal-Ong

Vous avez rencontré et interrogé une trentaine d’hommes sur le visionnage d’images pornographiques. Les films qui ont leur faveur privilégient la domination masculine sur les femmes. Des hommes agressifs déglinguent des femmes pas trop actives. Elles ne peuvent pas désirer comme un homme pour être excitantes ! Comment ces hommes expliquent-ils leur préférence ?

Ils ne l’expliquent pas toujours. Certains la justifient en disant que cette sexualité de domination est naturelle. Ils avancent de prétendus savoirs scientifiques et des arguments pseudo-biologiques. Ils peuvent aussi nier ce fantasme de domination quand la potentialité de violence est abordée. Ils disent qu’ils ont des fantasmes de domination mais qu’ils les maîtrisent au contraire des « jeunes » et en particulier des « jeunes de banlieue ». Ces fantasmes seraient dangereux pour ces publics « vulnérables » mais pas pour eux-mêmes.

Visionner de tels films n’est pas anodin. Cette pratique participe à la construction de la masculinité.

Le sujet premier de mon livre est le corps des hommes et pour approcher la façon dont les hommes conçoivent leur image virile, je me suis intéressé à la pratique du visionnage de films pornographiques. Celle-ci conforte une série d’idées reçues sur la masculinité. Elle est gratifiante et réconfortante pour beaucoup d‘hommes même si à de nombreux moments, ils peuvent être mal à l’aise par rapport à leur attirance pour des fantasmes très trash. Mais plutôt que de s’interroger sur leur attirance, ils accusent l’industrie pornographique ou le féminisme qui les empêche de profiter de l’ordre naturel des sexes. Ils peuvent aussi interpréter ce malaise comme une addiction à la pornographie mais ils s’interrogent rarement sur la fabrique de la masculinité

La masculinité ! C’est quoi être un vrai mec aujourd’hui ?

Un vrai mec, c’est un homme qui affirme sa virilité au niveau sexuel mais qui en même temps va prendre ses distances par rapport aux formes de virilité dénigrées comme « excessives », « sauvages », pas « civilisées ». Il s’agit de savoir se contrôler soi-même pour mieux dominer les autres. C’est la conception hégémonique de la masculinité au sein de la classe moyenne supérieure blanche des années 2010. Elle est hégémonique au sens où elle est socialement légitimée. Mais il faut bien se rendre compte que la conception de la masculinité varie selon les milieux sociaux. Il n’y a pas une masculinité mais des masculinités.

Le pénis est central dans la construction de la virilité comme la pénétration et la domination des femmes.

C’est exact et d’autres parties du corps, comme l’anus, la prostate ou les tétons, ne sont pas mentionnées par les hommes hétérosexuels alors qu’elles sont sources de plaisirs. Quand j’abordais avec eux la question du plaisir anal, j’ai rencontré une crispation importante, une forte opposition. Les hommes se considèrent comme pénétrants et non comme pénétrés et invoquent une pseudo-réalité biologique d’un corps masculin fait pour pénétrer et non pour être pénétré. Il y a quelque chose de fort qui se joue là dans le refus de la pénétration.

La pénétration est associée à de la passivité alors que la femme pénétrée comme l’homme pénétré ne sont pas passifs.

Pour beaucoup, la masculinité est associée à l’activité et la féminité à la passivité. Mais Il faut sortir de ce dualisme passif et actif. Vous pouvez d’ailleurs voir dans des productions pornos, des actrices comme Belladonna ou Mika Tan qui ne sont absolument pas passives. Mais les hommes que j’ai rencontrés, sélectionnent dans les images pornographiques les éléments qui confirment leur imaginaire hétéro-patriarcal et la domination masculine. Je ne critique pas le porno mainstream que ces hommes regardent mais le fait qu’ils n’en retiennent que les éléments confirmant leurs idées reçues sur la virilité. En regardant du porno, ils pourraient ré-investir leur corps autrement mais ils préfèrent des images mettant en images des fantasmes de domination sur des femmes soumises. C’est gratifiant pour eux et plus confortable.

Dans la conclusion de votre ouvrage, vous proposez d’ailleurs aux hommes de regarder d’autres images pornos…

Le porno propose en effet des images autres que celles centrées sur la pénétration masculine. Les hommes pourraient s’ouvrir à d’autres manières de désirer et regarder des images moins centrées sur le coït hétérosexuel et la domination masculine. Regarder du porno gay, féministe, queer (qui dépasse l’opposition entre le féminin et le masculin, entre l’hétéro et l’homosexualité) ou du post-porno (qui détourne les codes genrés du porno commercial), peut amener à habiter différemment les fantasmes hétéro-normés. Je ne crois pas au pouvoir isolé des images mais celles-ci peuvent aider les hommes à s’interroger sur leurs fantasmes de domination et la naturalité de cette conception de leur sexualité. De même écouter des actrices pornos qui racontent leur travail et les coulisses des tournages aide également à déconstruire ces stéréotypes de genre. Dans ses performances post-pornoraphiques, l’ex-pornstar Annie Sprinkle rend visible tout le travail du corps et de l’apparence nécessaire à la performance de la féminité pornographique hétéronormée : épilation, fitness, accessoires, posture, voix, etc. Écouter les actrices permet de prendre du recul par rapport à la naturalité d’une sexualité masculine de domination, qui repose en réalité sur du travail féminin invisibilisé.

Certains sociologues comme Michel Bozon estiment que l’intime reste un lieu de résistance à l’égalité des sexes. Quelle est votre explication ?

La sexualité est en effet vécue comme un espace de réconfort et de réassurance identitaire pour les hommes, plus que pour les femmes. Mon enquête le confirme. Du coup, il y a une réticence à sortir de cette zone de confort et à expérimenter d’autres choses qui peuvent aller à l’encontre de cette vision. Cette inertie masculine appauvrit les possibilités érotiques et contribue au maintien des inégalités.

Désirer comme un homme est paru aux éditions la découverte, 168 p. 18 euros

Désirer comme un homme

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