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#MeToo: «Il faut que les hommes aient le courage de s’interroger»

Grâce à #MeToo, de nombreuses femmes ont osé dire les violences sexuelles subies. Martine Delvaux publie des témoignages reçus dans « Je n’en ai jamais parlé à personne ». Interview de l’écrivaine et militante canadienne.

Journaliste Temps de lecture: 6 min

« J’avais quinze ans. Notre oncle nous fait faire des tours de moto. À moi, il propose de conduire. On vient à peine de partir qu’il pose ses deux mains sur mes seins. Son souffle dans mon cou. Je m’arrête. Il me demande si je suis aussi « stiff » avec mes petits amis. »

« Quand j’avais quatre ans et que mon cousin m’a violée avec une paire de ciseaux, mes parents auraient dû prendre cela au sérieux. »

« J’ai dit non, mais il m’a pénétrée. Devant son ami. »

« Il m’a dit que, si je ne criais pas, il ne ferait pas mal. »

En octobre 2017, suite à l’affaire Weinstein, le mouvement #MeToo déferle sur le monde et les femmes sortent du silence pour dire les violences sexuelles subies. Dans « Je n’en ai jamais parlé à personne », l’écrivaine, militante et professeure de littérature à Montréal, Martine Delvaux nous livre les témoignages qu’elle a reçus après avoir lancé un appel. Ils sont publiés dans ce petit ouvrage. À leur lecture, très vite, la nausée s’installe. Pire même… Mais aussi terribles soient-ils, ils sont essentiels car ils disent les violences sexuelles que subissent les femmes dès leur plus jeune âge. Aussi différents soient-ils, ils forment le chœur uni de toutes celles qui sont sorties du silence pour que les rapports de domination cessent et que l’égalité de genre advienne.

Photo Delvaux © Valérie Lebrun
copyright: Valérie Lebrun

Les femmes sont sorties du silence lors du mouvement #MeToo et de l’appel que vous avez lancé à témoigner. Elles vous ont envoyé de nombreuses lettres. Quelles ont été vos émotions en les lisant, vous qui connaissez la violence dont les hommes sont capables ?

« En lisant ces témoignages, dont la longueur était variable (parfois une phrase, quelques lignes, mais parfois aussi plusieurs pages), j’ai été choquée, malgré tout. Même quand on est au courant de la réalité, reste que la somme est marquante. Tout à coup, près de cent femmes m’envoyaient leurs mots, et je me suis trouvée devant la force du nombre. J’ai eu l’impression, aussi, de porter la douleur des autres, d’en être la témoin et en quelque sorte la messagère.

Pendant le travail de rédaction du livre, j’étais sur la colère, je crois, sur le désir de rendre justice. Plus tard, une fois le livre imprimé, quand je l’ai présenté pour la première fois à des libraires et à des représentants, les larmes sont montées. J’ai senti à ce moment-là la douleur qui sous-tend le livre. Et le travail que j’ai fait. Mais pour y arriver, il me fallait tenir, ne pas plier, ne pas pleurer. »

Pourquoi les publier ?

« Pour que ça ne reste pas lettre morte. À chaque fois qu’il y a un mouvement de dénonciations, surtout depuis l’avènement des réseaux sociaux, les paroles se multiplient, elles envahissent la toile. Mais ça reste temporaire. Le phénomène des réseaux sociaux a à voir aussi avec leur dimension éphémère. Les statuts ne restent pas longtemps, ils se trouvent enterrés sous d’autres infos, et on oublie. La vague passe et on passe à un autre dossier. Je voulais colliger ces paroles, les inscrire dans la durée. Et je voulais, aussi, les tirer vers la littérature. Les placer dans nos bibliothèques. Une manière de les archiver. »

Pourquoi les publier en ne faisant aucune différence entre les femmes ? Leurs voix ne font qu’un ?

« Parce que ces histoires, d’une certaine façon, sont toujours les mêmes. Les témoignages se distinguent par le détail, mais suivant leurs grandes lignes, il s’agit des mêmes récits. Une femme, c’est toutes les femmes, aussi : voilà ce que je voulais mettre en lumière. Qu’on ne soit pas singularisées et séparées les unes des autres. Qu’on fasse communauté. Et la figure de cette communauté, c’est le chœur, l’impression qu’il ne s’agit que d’une voix. Une voix qui les porte toutes. Comme une armée de survivantes. »

Les témoignages sont parfois très différents les uns des autres, parfois les femmes subissent de la violence, parfois du harcèlement, parfois des déceptions amoureuses provoquées par des hommes grossiers… Pour vous elles subissent toutes la même chose ?

« Ces témoignages s’inscrivent sur le continuum des violences sexuelles. Les expériences ne sont pas toutes les mêmes, mais elles participent toutes d’un même climat. D’une culture du viol (à l’intérieur de laquelle on trouve une culture de l’inceste). De la misogynie systémique, aussi. Peu importe ce qui est fait aux femmes, ce qu’elles subissent, et peu importe à quel âge, il s’agit toujours d’une manifestation, à mon sens, d’une haine dont elles sont l’objet. Et cette haine, elle est d’emblée sexualisée. »

Quels conseils donneriez-vous aux hommes pour entrer en relation – simplement en relation – avec les femmes ?

« Les écouter ! Les croire ! Les laisser parler ! Voilà ce que je leur dirais. Si les hommes veulent vraiment être des alliés des femmes, voire des alliés du féminisme, ils doivent apprendre à se taire, à céder un peu de leur privilège, à faire de la place aux femmes. Ça semble simple, mais ça ne l’est pas. Combien de fois des hommes empêchent les femmes de parler, ou ne les écoutent pas ? Combien de fois est-ce qu’on se fait couper la parole ? Ça me semble primordial de défaire ces habitudes-là. »

Quels conseils donneriez-vous aux hommes pour bien désirer et aimer les femmes ?

« Les mêmes conseils : écouter, croire les mots des femmes, prendre en considération ce qu’on sait : qu’une femme sur trois a été ou sera victime de violence sexuelle. Et même cette statistique me semble faible si on prend en compte le sexisme, les insultes, le harcèlement de rue, etc.

Les hommes doivent accepter qu’on n’occupe pas encore la même place qu’eux dans cette société. Et ils doivent cesser de se dire : mais pas moi ! Moi, je ne suis pas comme ça ! Un véritable examen de conscience doit avoir lieu. Les hommes doivent avoir le courage de se regarder en face, et d’admettre qu’ils ont pour la plupart déjà posé des gestes violents, d’une manière ou d’une autre. Qu’ils n’ont pas toujours pris au sérieux la question du consentement. Qu’ils ont insisté, manipulé, exigé, intimidé, harcelé… même de manière « douce ».

Pour que les choses changent, il faut que les hommes aient ce courage de s’interroger eux-mêmes. Sinon, on va continuer à avancer dans des voies parallèles. »

Et aux femmes ? Quels conseils ?

« Je ne suis pas certaine de comprendre la question, mais bon, disons ceci…

J’espère qu’un jour les femmes vivront avec la garantie que leur consentement sera respecté, ce qui veut dire qu’elles auront l’assurance de pouvoir manifester leur non-consentement sans avoir peur d’en payer le prix. Il ne suffit pas de dire aux femmes d’être claires. Parce qu’on sait, pour l’avoir vécu, que même quand on est claires, on n’est pas écoutées. Donc je ne sais pas ce que je dirais aux femmes sinon qu’elles ne sont pas seules. Que nous partageons les mêmes expériences. Et qu’ensemble, en se battant ensemble contre les violences sexuelles, on va finir par y arriver. Ça, je veux le croire. »

9782890917088

Je n’en ai parlé à personne, édition du remue-ménage, 120 p., 14 euros.

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