Paul El Kharrat: «Je suis une personnalité torturée et tourmentée»

Aujourd’hui âgé de 23 ans, Paul El Kharrat s’est fait connaître du grand public par son passage remarqué aux « Douze coups de midi » de Jean-Luc Reichmann. Ce passionné d’Histoire et de culture générale, à la mémoire phénoménale, désormais sociétaire des Grosses Têtes sur RTL, nous ouvre les portes de son univers dans un livre. Il nous plonge avec sincérité dans son quotidien bouillonnant de jeune homme autiste Asperger, entre rires et coups de blues. Rencontre avec un « personnage » franc, direct, entier et espiègle. Pourquoi avoir voulu coucher vos émotions dans un livre ? J’ai voulu rétablir une vérité biaisée, à savoir le fait qu’à la télé je suis vu comme quelqu’un d’adorable, d’agréable, d’aimable, de souriant, de charmant… Je voulais quelque chose de plus sombre, de plus profond, de plus ténébreux. À l’écran, on ne voit qu’une partie de l’homme que je suis et je voulais montrer la manière dont, au niveau de ma psychologie, je suis une personnalité torturée et tourmentée. Je lutte constamment contre mes démons et le Diable qui sommeille en moi. C’est un combat contre soi permanent, pour éviter les débordements. J’ai conscience du mal qui me ronge et je dois refréner les pulsions morbides qui m’assaillent. Écrire, en se remémorant des souvenirs, a été une source de souffrance mais cela m’a permis d’informer sur l’autisme. Cette prison intérieure ne permet pas toujours de s’évader de la réalité qui m’oppresse et qui peut me rendre violent. Je dis souvent que je suis un criminel sans crimes, car je vois certains liens entre mon fonctionnement, mon cerveau tourmenté et ceux des tueurs en série. Je partage un lien presque psychopathique avec eux. Mais je possède l’intelligence nécessaire pour pouvoir exprimer ce que je ressens, parfois sur un ton badin. Mais toute blague possède sa part de vérité. J’essaie de rendre compte de la souffrance agressive qui rend mauvais nombre d’êtres humains. Je ressens parfois une colère tellement forte qu’elle en devient irraisonnée. Je suis desservi par mon tempérament de feu. Il était important de faire comprendre que l’autisme n’est pas une maladie ? Le mot est souvent utilisé à tort et à travers pour qualifier l’autisme. La définition de ce syndrome complexe, dont je suis porteur, permet de signifier comment je fonctionne et j’agis. Mais le mode d’emploi est en réalité beaucoup plus philosophico-sociologique. Je m’interroge beaucoup sur ma psyché et ma condition, je me pose des questions complexes de manière ininterrompue, sans trouver systématiquement les réponses. C’est étonnant et frustrant de se sentir seul avec son ego, au sens latin du terme. Placer les gens dans des cases entraîne la stigmatisation ? C’est ce que j’ai écrit mais je peux dire quelque chose et penser le contraire juste après. Je suis contre et pour le fait de mettre les gens dans des cases. À tout propos, des nuances peuvent être apportées, et la nuance est le propre du langage. J’ai conscience du mal qui me ronge et je dois refréner les pulsions morbides qui m’assaillent. L’annonce du diagnostic a été un soulagement pour vous et votre famille ? Toute ma famille ne l’a pas ressenti de cette façon, mais oui, pour ma maman et moi surtout, cela a été un réel soulagement. Car j’ai vécu un long chemin de croix avant ce diagnostic à mes 16 ans. Cela faisait des années que l’on pensait que le petit Paul était borderline. Je suis allé voir tellement de spécialistes… L’annonce d’un diagnostic, quel qu’il soit, permet une meilleure compréhension de la pathologie, ainsi qu’une prise en charge plus adaptée. Des aides peuvent alors être apportées. Une personne autiste doit s’adapter continuellement au monde qui l’entoure. Cela entraîne une intense fatigue. Oui. Sortir, discuter, se souvenir… tout cela pompe de l’énergie. Je suis conscient d’avoir l’air souvent fatigué, mais je continue à répondre aux sollicitations. C’est aussi pour cela que je vis souvent la nuit. Ce calme extérieur est plus facile pour moi. Le cadre apaisé et silencieux de la nuit, quand la plupart des humains sont absents, me convient mieux. Ce plaisir taciturne est prodigué par le silence des hommes. Quand j’atteins un niveau de fatigue extrême, j’ai besoin de me poser pour mettre mes idées en place. J’ai alors l’impression de ne plus être tout à fait un humain, que mon cerveau devient un ordinateur et mon corps un moteur. Vous percevez votre mémoire impressionnante telle une bibliothèque ? C’est la métaphore que j’utilise pour imager ma mémoire. Elle est telle une vaste bibliothèque à ciel ouvert, sous forme d’étagère possédant de nombreux tiroirs et ramifications. Elle fonctionne aussi par association, surtout par ordre chiffré. Les heures me font penser à des dates et des années, auxquelles j’associe des personnages historiques. Vous prêtez une grande attention aux personnalités disparues car avec elles, il n’est pas nécessaire de gérer les interactions sociales ? C’est en effet compliqué de tenter de se conformer aux codes sociaux. Les morts nous rendent vivants de par leur héritage. J’essaie de prendre le bon dans chacun d’eux. Je suis assez éclectique dans mon amour du savoir et de la culture. Vous avez une grande passion pour les listes de toutes sortes… Je les veux les plus exhaustives possible. Il est compliqué de faire des choix et je tente alors de tout sélectionner sur un sujet pour pallier cette difficulté de choisir. Ce qui me plairait, c’est que des gens qui n’ont pas eu leur part de célébrité, à l’époque, soient aujourd’hui adulés. Mon but est que les individus et les événements ne tombent pas dans l’oubli car ils méritent d’être mis en lumière. Pour revenir aux tueurs en série par exemple, ceux-ci deviennent célèbres alors que les victimes sont oubliées. Comment gérez-vous votre notoriété ? Je pense que je la gère bien. La plupart des gens sont sympathiques et bienveillants. J’aime être avec des personnes qui sont éblouies par ma personnalité, mon savoir et qui m’apprécient, mais de manière souvent superficielle. Ils me connaîtront mieux une fois qu’ils auront lu mon ouvrage. Je fais avec plaisir des photos avec ceux qui viennent me voir, tant qu’on ne me manque pas de respect. [scald=29566550:sdl_editor_representation] « Bienvenue dans mon monde. Moi, Paul, autiste Asperger », par Paul El Kharrat, éd. Harper Collins, 192 p., 18 euros.

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