Steven Laureys: «Il faut sortir la science de sa tour d’ivoire»

Directeur du « Centre du cerveau » au CHU de Liège et de l’unité de recherches GIGA sur la conscience de l’ULiège, Steven Laureys s’immisce dans les profondeurs de l’être humain. Un mystère que ce professeur de 53 ans perce un peu plus à chacune de ses nombreuses recherches. Quand le cerveau a-t-il commencé à vous intriguer ? Ce qui est sûr, c’est que j’ai toujours voulu devenir médecin. Au fil de mes études à la VUB, j’ai découvert le cerveau, l’organe le plus mystérieux. Je me suis alors lancé dans la neurologie pour devenir clinicien mais aussi chercheur. C’est ainsi que je me suis intéressé à la conscience humaine. Vous avez fait avancer la recherche grâce à vos travaux… C’est un peu arrogant de penser cela, mais c’est un fait que l’on réalise beaucoup de progrès actuellement, même si l’on ne sait pas quelle est la part de ce que l’on méconnaît encore. On repousse les frontières de notre connaissance et à la fois on ignore ce qu’il y a de l’autre côté. C’est fascinant ! Vous avez mené de nombreuses recherches. Certaines vous ont-elles marqué plus que d’autres ? Ce qui est beau avant tout, c’est de voir l’impact des connaissances sur le milieu médical et j’avoue qu’avoir les deux casquettes, celle du chercheur qui doute de tout, qui remet tout en question et celle du clinicien qui suit les patients, qui doit prendre des décisions, me comble. Je garde un souvenir fort d’un patient venu de l’étranger que l’on a transféré au CHU de Liège avec l’étiquette « état végétatif », ce que l’on appelle désormais « état de conscience minimale ». En le mettant dans la machine et en lui posant des questions, on a vu que son cerveau « s’allumait », pour le dire simplement. Cela nous a permis d’établir une forme de communication avec lui et d’adapter son suivi. Je me souviens aussi d’une jeune femme qui avait pris un médicament ayant provoqué une réaction allergique. Elle s’est retrouvée dans le coma suite à cela. On s’est posé la question de savoir si on n’était pas dans de l’acharnement thérapeutique mais au final, elle en est sortie et a même repris ses études ! Il faut cependant rester prudent car on risque de donner de faux espoirs aux patients mais, à la fois, on ne doit pas créer de faux « désespoirs ». On repousse les frontières de notre connaissance et à la fois on ignore ce qu’il y a de l’autre côté. La conscience des humains et des animaux n’a pas été considérée à sa juste valeur jusqu’à présent ? Je pense que l’on a commis l’erreur de penser que la conscience, c’est tout ou rien, que ce soit après le coma, chez les personnes très âgées ou chez l’animal. Dans certaines de ces situations, on a sous-estimé les capacités du cerveau à créer des pensées, des perceptions et des émotions. L’anesthésie, le sommeil, les rêves sont aussi des illustrations où, vu de l’extérieur, on apparaît comme « non répondant ». Et pourtant, c’est faux, on a également fait des tests avec des bébés in utero et on a constaté que leur cerveau « s’allumait ». Pour les animaux, c’est exactement le même processus. Vous avez étudié le cerveau de nombreuses personnalités, du moine bouddhiste Matthieu Ricard à l’apnéiste Guillaume Néry. Qu’est-ce que cela apporte ? Matthieu Ricard est un athlète unique de l’esprit, qu’il entraîne de manière intensive avec la méditation. Mais nous nous sommes aussi penchés sur des astronautes de la Station spatiale internationale avant leur départ et à leur retour. L’objectif ici était de comprendre comment l’être humain s’adapte à l’absence de gravité. On a également travaillé avec des sportifs de haut niveau, comme le Français Guillaume Néry en apnée, pour voir comment ils pouvaient améliorer leurs performances au niveau mental. On a également accueilli dans notre service du CHU de Liège des musiciens pour analyser la créativité. Tout cela est fascinant et nous permet d’avancer à travers les courbes de ces cerveaux d’exception. La famille du pilote Michael Schumacher, victime d’un grave accident de ski en 2013, a également fait appel à vous… Ses proches préservent la discrétion autour de lui, je la respecterai aussi. Mais ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a des centaines de Michael Schumacher dans le monde. C’est pour cela que j’ai créé la fondation internationale « Mind Care » qui vise à apporter des informations, un soutien aux proches des personnes après un trauma et les aider à organiser cette nouvelle vie où le trajet de soin peut vraiment être optimisé. Vous parvenez avec brio à vulgariser vos recherches pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Comment vous y prenez-vous ? Il faut sortir la science de sa tour d’ivoire ! Comme clinicien, j’ai appris à expliquer une réalité parfois complexe avec des mots simples mais justes. Cela fait également partie de notre mission. C’est, selon moi, une réelle valeur ajoutée. Exercice difficile : comment vous décririez-vous ? Mon fils Hugo, un de mes cinq enfants, est à mes côtés, je pense qu’il pourra mieux répondre à cette question ! (Rire) Hugo, 21 ans : Papa et curieux de tout et aime partager. On le voit comme la star du cerveau mais il se questionne énormément ! Quand j’étais petit, je n’arrêtais pas de lui poser des questions, comme par exemple : « Comment fait-on pour respirer sur la Lune ? » Alors là, il démarrait et m’emmenait dans le monde du savoir. Comme il le fait encore aujourd’hui. [scald=29566967:sdl_editor_representation] « Méditer avec le Dr Steven Laureys.Carnet d’exercices de méditation »,éd. Odile Jacob, 208 p., 18,90 euros.

Votre compte

Steven Laureys: «Il faut sortir la science de sa tour d’ivoire»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Aussi en Livres

Entretien Tatiana de Rosnay: «C’est la première fois que je vais aussi loin»

Entretien Marc Eichinger, ancien agent de renseignement de la DGSE: «Les drogues de synthèse représentent le nouveau danger de notre époque»

Entretien Bernard Werber: «Le livre est l’objet le plus puissant au monde»

Entretien Maxime Chattam: «Il faut savoir se servir de sa propre part d’ombre»

Entretien Olivia de Lamberterie: «L’humour permet d’affronter les épreuves»

À la Une

Les premiers pas de la reine Mathilde au Bangladesh (vidéo)

«Torture», «Zone de guerre»: le tournage de la téléréalité Squid Game est inhumain

Les plus beaux looks des stars pendant les Grammy Awards 2023 (photos)

La vidéo de Jennifer Lopez recadrant Ben Affleck aux Grammy Awards devient virale

Arnold Schwarzenegger impliqué dans un accident avec une cycliste

Malgré la guerre en Ukraine, Gérard Depardieu s’estime «toujours Russe»

30 années au service d’une passion : le métier d’infirmière

Des soins intensifs polyvalents et à la pointe des technologies

L’indemnité vélo pour tous les travailleurs belges dès le mois de mai

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel