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La justice bruxelloise n’a plus le temps de traiter les «petits dossiers»

1.700 petits délinquants éviteront un procès, à Bruxelles, parce que la justice n’en a pas les moyens. Nouveau dommage à la réputation de la capitale.

Journaliste d'investigation Temps de lecture: 5 min

À chacun sa manière de régler le compte de la justice à Bruxelles. Les soucis sont connus : manque de personnel, arriéré colossal d’affaires de petite ou grande délinquance, découragement des troupes, burn-out chronique et, au final, constat désagréable d’une forme d’impunité à large échelle. Au cours d’une même semaine, juste avant la Toussaint, voici quatre types d’attitudes relayées par les médias.

1º. Au parquet de Bruxelles, on aurait décidé durant les mois de novembre et de décembre de ne plus poursuivre les « petits » vols, les menaces et les cas de harcèlement. C’est en tout cas le quotidien économique « L’Écho », réputé sérieux, qui l’a affirmé le 25 octobre. Vous êtes la victime d’un arrachage de sac rue Neuve, on vous insulte en essayant de vous intimider de manière agressive ? Ne portez pas plainte ! La justice bruxelloise n’aurait actuellement pas les équipes suffisantes pour traiter les dossiers... Plus grave : pour sortir la tête de l’eau, selon « L’Écho », le parquet de Bruxelles a récemment sabordé quelque 1.700 dossiers relatifs à des délits passés entre les mains d’enquêteurs, où les auteurs ont été confondus et qui attendent simplement un passage au tribunal. Circulez, il n’y a rien à juger ! Cette pile de dossier risque de passer à la trappe et ni le parquet de Bruxelles ni le tribunal correctionnel de Bruxelles n’ont démenti officiellement cette information piquante.

2º. Dans les milieux politiques, la nouvelle n’a pas causé de réel émoi. Deux jours plus tard, soit le 27 octobre, l’échevin de l’urbanisme de la ville de Bruxelles, le libéral Geoffroy Coomans de Brachène, a certes eu les honneurs d’une parution dans « La Capitale », à quelques semaines de son renvoi sur les bancs de l’opposition. Mais, au vu des circonstances, sa proposition décalée a de quoi faire sourire : il suggère de placer le palais de Justice sur la liste des bâtiments à protéger par l’Unesco. Comme si l’urgence était au patrimoine plutôt qu’à l’arriéré judiciaire.

3º. Au rayon des solutions alternatives, plusieurs organisations défendant les petits commerçants bruxellois semblent en phase avec l’actuel ministre fédéral des Classes moyennes, Denis Ducarme (MR). Puisque les vols en magasin augmentent et restent sans réponse pénale, il est question de proposer une transaction civile aux voleurs « occasionnels » (vous lisez bien : c’est l’adjectif utilisé par ceux qui réfléchissent à cette idée). Tu voles, tu dédommages. On tombe dans le cynisme, non ?

4º. La solution la plus évidente entendue ces jours-ci émane des représentants des avocats. Puisqu’il s’agit avant tout d’un problème d’effectifs, le gouvernement doit veiller à remplir les cadres judiciaires, estime le site « Avocats.be ». Cela dit, c’est une rengaine à Bruxelles, la capitale de la Belgique et de l’Europe, où sur cinq postes de juges, il en manque au moins un. Pour le président d’« Avocats.be », Jean-Pierre Buyle, la situation de la justice bruxelloise est « particulièrement désastreuse ». Faisant craindre « le chacun pour soi » et « des dérives d’autodéfense ». Rien que ça…

Cris dans le désert

Et pendant ce temps, que fait la police ? Elle continue tant bien que mal à assumer ses missions d’urgence comme en témoigne l’arrestation – le 30 octobre – de quatre dealers de drogue très actifs dans l’un des quartiers du centre-ville où le fléau reste difficile à endiguer (l’Alhambra). « Il ne faut pas croire qu’on se croise les bras à Bruxelles. De telles opérations sont courantes et résultent souvent d’une bonne coopération avec la police française ou néerlandaise, commente un juge d’instruction. Nous sommes dans un cercle vicieux. Les bandes organisées ne sont pas débiles : elles savent bien qu’en Région bruxelloise, nous manquons d’effectifs pour faire régner la loi. Forcément, c’est là qu’elles ont tendance à s’incruster. »

Il y a quelques semaines, sur un plateau de la chaîne de télévision BX1, l’ancien chef de corps de la zone de police Montgomery, Jean-Marie Brabant, qui n’a pas l’habitude des déclarations tonitruantes, avait averti du danger : « La police fédérale est en faillite et la police locale bruxelloise pourrait suivre la même voie. Si on ne sort pas d’une logique uniquement budgétaire, elle n’aura bientôt plus les moyens de remplir ses missions de base. » Pas seulement le maintien de l’ordre dans les transports en commun ou la sécurité routière, « mais aussi la lutte contre la criminalité organisée », avait-il ajouté. Ce constat de carence, cette nervosité croissante s’expriment de manière de plus en plus décomplexée. On ne compte plus les cris d’alarme du président du tribunal correctionnel de Bruxelles, l’ancien juge d’instruction Luc Hennart. Par ironie, il a été jusqu’à amener des journalistes chinois à constater l’insalubrité des… toilettes du fameux palais de Justice, maintenu debout par des échafaudages.

9 000 dossiers à la poubelle

De cette précarité symbolique des bâtiments judiciaires, les médias internationaux ont été les premiers témoins à l’ouverture du procès du terroriste Salah Abdeslam, le 5 octobre 2018. Une scène surréaliste. Des caméras de la BBC ou de la télé allemande filmant les deux heures de file auxquels étaient confrontés dans le même chaos le public, une kyrielle d’avocats et quelques-uns des plus hauts magistrats du pays. Tous piégés par une même cause : le manque d’organisation et surtout de moyens. À croire que Bruxelles serait maudite car, au même moment, il fallait parfois compter une à deux heures pour traverser le cœur de ville paralysé par la déglingue des tunnels routiers. Vices de forme d’une capitale historiquement sous-financée, diront certains. Une ville-Région volontairement appauvrie par les partis flamands les plus désireux de démontrer son mauvais fonctionnement, voire son inutilité.

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