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L’adieu aux mâles

Dans « L’instinct paternel », Christine Castelain Meunier évoque les nouveaux pères qui partagent les responsabilités éducatives et domestiques. Interview de la sociologue française qui n’oublie pas de nous parler de l’intimité de ces hommes nouveaux.

Journaliste Temps de lecture: 6 min

Un homme nouveau serait-il en train de naître ? Un homme qui a dépassé les obligations de virilité dans lesquelles des siècles de patriarcat l’ont enfermé ? Un homme qui est dans le relationnel et s’implique dans la vie quotidienne ? À lire « L’instinct paternel », on le croit volontiers. L’auteure, Christine Castelain Meunier évoque ces hommes nouveaux et en particulier ces jeunes pères qui partagent les responsabilités éducatives et s’occupent de leurs enfants. Et la sociologue du CNRS et de l’EHESS, l’École des Hautes Études en Sciences sociales ne signe pas un essai militant purement théorique mais s’appuie sur des dernières recherches en neurosciences, anthropologie, psychologue, sociologie et biologie pour justifier son analyse.

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Vous nous expliquez que nous sommes sortis de la société patriarcale. N’est-ce pas optimiste ?

« Nous sommes en train d’en sortir et vivons une période de transition. Même si la société change et sort du patriarcat – les comportements des jeunes pères l’attestent –, il y a des hommes qui se rebellent et veulent retourner au patriarcat. Il y a aussi ceux qui « flottent », qui se cherchent.»

Dans la société patriarcale, l’homme se doit d’être rationnel, insensible et capable de réprimer ses émotions. Ces obligations sont un poids terrible.

« Bien sûr ! Dans une telle société, l’homme se doit d’être ambitieux, compétitif, d’avoir le sens de l’honneur. Mais un tel profil ne correspond plus à celui des hommes actuels. Ils s’affirment aujourd’hui en essayant de se comprendre, de comprendre les autres et de communiquer. »

C’est l’évolution de la société qui permet ce changement ? Vous évoquez l’importance de la force psychique nécessaire pour affronter une société hyper-technologisée qui déshumanise.

« Aujourd’hui la société impose moins de normes et d’obligations. Nous devons faire davantage de choix qu’autrefois et nous devons développer notre force psychique pour les affirmer. Les jeunes aujourd’hui font des choix de vie différents et ils ne veulent plus sacrifier les dimensions personnelles, conjugales et familiales de leur vie pour le travail. »

Ce n’est pas l’émancipation des femmes qui a participé à cette évolution, écrivez-vous.

« J’écris en effet que ce n’est pas l’émancipation féminine qui a entraîné la diminution de la puissance paternelle. C’est une explication que j’entends régulièrement dans les groupes d’hommes antiféministes. Mais les recherches historiques que j’ai faites m’ont appris que la transformation de la paternité a commencé dès la révolution française. Le père a perdu alors de sa toute-puissance, lui enlevant les pouvoirs qu’il avait sur ses enfants même majeurs. Avant 1789, il pouvait déshériter ses enfants, favoriser les garçons par rapport aux filles, les aînés par rapport aux cadets, ou envoyer en prison un fils qui ne veut pas épouser la femme choisie. Ce ne sont donc pas les mouvements féministes qui ont mis fin à la toute-puissance paternelle. Ils sont la pointe d’un iceberg constitué par les mouvements qui entre le 18 e et le 20 et siècles ont œuvré à ce changement. Par contre le mouvement collectif des femmes des années 1970, a accompagné ce passage de la paternité institutionnelle à la paternité relationnelle, en contribuant à ce que j’appelle « humaniser » le masculin. »

Les hommes changent et l’investissement paternel est-il le lieu privilégié pour opérer cette évolution ?

« À travers la relation avec l’enfant et son accompagnement, l’homme peut en effet se tourner vers ses émotions et choisir une orientation de vie autre. »

Pourquoi avoir choisi ce rôle paternel et non par exemple le lien avec la femme qui permet aussi de faire évoluer sa vie ?

« J’ai choisi d’appréhender ces hommes nouveaux par le lien avec l’enfant mais il est vrai que le changement de masculinité passe également par la transformation de ses rapports avec la femme, la recherche de ses émotions et d’une autre façon de communiquer. »

Aujourd’hui, on déconstruit l’instinct maternel pour montrer combien il est culturel. Vous confirmez et expliquez que l’instinct paternel relève aussi de la culture. Pourquoi ce titre ? Par provocation ?

« Il est quelque peu provocateur. Mais en tout cas, on peut dire que l’on a plutôt empêché l’instinct paternel de se développer, en ne privilégiant que l’instinct maternel. Et pour aujourd’hui j’aurais plutôt tendance à parler d’instinct parental en tenant compte aussi des nouvelles formes de famille. Mais je voulais montrer à quel point il faut prendre en compte la nouvelle paternité et l’encourager. Notre histoire a privilégié certains aspects de la figure paternelle et j’ai voulu revenir sur certaines représentations du passé. Ainsi au néolithique, les humains vivaient en groupe et pour survivre, ils faisaient de la place à tous, aux hommes comme aux femmes. La domination masculine n’existait pas. »

En permettant à l’homme de vivre ses émotions. Ne craignez-vous pas que certains perdent leur puissance au lit ? Ma question est elle aussi provocatrice…

« Ma réponse est compliquée car notre société a valorisé la puissance phallique à un tel point que le mythe de cette virilité triomphante peut engendrer des obsessions de conquête, des rapports de consommation. Je crois au contraire qu’un homme dans le partage des émotions, un homme qui s’humanise, ira vers des relations sexuelles plus humaines et épanouissantes. Il ne deviendra pas impuissant ! Par contre je crois que la sexualité des parents n’est pas facilitée aujourd’hui. Il est difficile de combiner une vie intime épanouie, la grande fatigue de la vie moderne et une préoccupation constante aux enfants. »

La perte de désir est un problème que connaissent de nombreuses femmes engagées dans une relation amoureuse et une vie familiale. De multiples éléments peuvent l’expliquer et notamment le fait qu’elles investissent leur rôle de mère tout en dévouement et en oublient celui de femme, de « séductrice ». Ne craignez-vous pas que les hommes connaissent ce même problème s’ils deviennent des pères très attachés à leur progéniture ?

« Non… Je me dis que si les deux parents s’investissent dans l’éducation des enfants, les femmes auront plus de temps et de libertés pour penser à elles et à leur couple. Mais si les femmes connaissent ce malaise, ce déchirement entre les figures de mère et de femme sexuelle, si elles souffrent de cet écartèlement entre ces deux images, à quand le moment où les hommes seront exposés dans la rue comme des êtres sexys ? À quand une société où on montre un homme séduisant qui fait envie aux femmes. Elles vivront peut-être moins ce décalage entre leurs rôles de mère et de femme. »

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L’instinct paternel est paru chez Larousse, 208p., 16,95 euros

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