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L’orgasme des femmes et la fierté des hommes

Aujourd’hui pour bien des hommes, la virilité passe par la jouissance de la partenaire sexuelle. Une virilité mal placée ?

Journaliste Temps de lecture: 6 min

Jouir ! Trop peu de femmes connaissent ce pic des plaisirs dans les bras d’un homme. Pas plus de 65 % des femmes hétéros disent connaître « souvent ou toujours » un orgasme contre 95 % des hommes (1). Et si ce délice s’apprend et se prend, le partenaire y participe. Un homme qui se met à l’écoute du corps de l’autre et de ses envies, caresse, lèche, embrasse, s’attarde au clitoris, le titille de toutes les manières, prend son temps, pénètre, mordille, suce, pelote, tapote, claque – on s’arrête là – facilite l’orgasme féminin et permet une vraie rencontre érotique.

Un orgasme qui flatte l’ego masculin

Mais il semblerait que cette jouissance féminine ne profite pas seulement à l’intéressée. Elle serait aussi un grand sujet de fierté pour la gent masculine selon l’étude « Do Women’s Orgasms Function as a Masculinity Achievement for Men ? »(2) ! Menée auprès de 810 jeunes hommes (25 ans en moyenne), elle a révélé que l’orgasme de la partenaire porte, soutient et améliore le sentiment de satisfaction sexuelle de ces messieurs et leur sentiment de virilité. C’est particulièrement le cas chez les hommes qui ont quelque stress par rapport aux rôles traditionnels de genre à tenir aujourd’hui. Ainsi ce n’est pas (seulement ?) pour elle mais pour eux que les hommes se soucieraient du plaisir féminin…

Et voilà l’orgasme féminin, le symbole même de la libération sexuelle des femmes, transformé en signe suprême de la puissance masculine.

Faut-il s’en inquiéter ?

Non ! Assurément ! Quelle femme oserait se plaindre d’avoir un partenaire soucieux de ses plaisirs. Tant mieux si les orgasmes de l’une sont appréciés et recherchés par l’autre. Quoi de plus normal que la jouissance flatte l’ego ; elle renforce d’ailleurs le sentiment d’estime de soi de la femme. Et toute action, même la plus généreuse et la plus altruiste, peut flatter l’ego et être taxée d’égocentrique, narcissique, intéressée et autocentrée.

Une sexualité féminine à nouveau au service des hommes

Pourtant on s’inquiétera quelque peu de ce sentiment de virilité et des conséquences qu’il peut avoir. Il risque de transformer la jouissance en une obligation et même une pression tant pour la femme que pour l’homme. Les auteures de l’étude elles-mêmes, Sara B. Chadwick et Sari van Anders de l’Université du Michigan, ont confié au magazine PsyPost leurs craintes des conséquences de cet attachement orgasmique : « Pour ces hommes, l’orgasme des femmes consiste en fait à ce qu’ils se sentent bien dans leur masculinité. Cela pourrait expliquer pourquoi certains hommes se sentent obligés de « donner » des orgasmes aux femmes. Et cela pourrait expliquer pourquoi certaines femmes simulent des orgasmes, c’est-à-dire pour protéger les sentiments des hommes. Malheureusement, bien que de manière spéculative, cela pourrait également signifier que certains hommes ne seront pas réceptifs aux commentaires des femmes sur la façon d’améliorer leurs compétences sexuelles, car cela pourrait contribuer à des sentiments d’incompétence ou de manque de masculinité. La masculinité hétéro normative est donc un problème pour les hommes et pour les femmes, et doit être abordé de manière personnelle et culturelle. »

Les deux psychologues américaines craignent encore que l’orgasme des femmes ne serve plus le plaisir sexuel des femmes (et leur libération) mais conditionne à nouveau leur sexualité à se mettre au service des hommes. C’est toute l’histoire d’une sexualité féminine au service des mâles qui reprendrait vigueur.

Le désir de faire jouir de la Communauté de la séduction

Et comment à la lecture de cette étude, ne pas songer au mouvement de la Communauté de la séduction dont Mélanie Gourarier parle dans « Alpha Mâle » (éd. du Seuil). Dans cet ouvrage, fruit de trois années d’études, l’anthropologue française dissèque cette mouvance masculine apparue à la fin des années 1990 en Californie et qui s’est ensuite répandue dans le monde entier. Celle-ci est convaincue que les femmes dirigent aujourd’hui la société et qu’il est temps pour les hommes de reprendre la place et le territoire qu’ils auraient perdus.

Et pour arriver à leurs fins, ces hommes veulent jouer la carte de la séduction, celle-là même que les femmes ont utilisée pour les asservir. « Postulant la prédominance des femmes et du féminin dans tous les domaines de la vie sociale, les membres de la Communauté de la séduction pensent la masculinité menacée en retour, forcée de s’effacer et de se soumettre à une féminité qui apparaît dès lors comme hégémonique. Si les femmes tirent leur pouvoir de la séduction qu’elles exercent sur les hommes, il s’agit alors de neutraliser ce pouvoir en se l’appropriant. Le projet de réajustement de la part masculine dans la relation de séduction suit ainsi deux objectifs. Le premier traduit une volonté d’équilibrer un rapport conçu comme inégal dans une perspective différentialiste où l’attirance est fondée sur la complémentarité des sexes. Le second dépasse l’ambition égalitaire pour se transformer en entreprise de reconquête d’un territoire perdu en déplaçant le pouvoir de séduction du côté des hommes. » écrit Mélanie Gourarier.

C’est par la séduction que les hommes veulent redevenir des mâles. Une séduction qui peut passer par le sexe et la jouissance de la femme. Les membres de la Communauté de la séduction partagent ainsi sur des forums internet et via des articles, ateliers et séminaires maints conseils pour faire exploser de plaisirs les femmes. Cunnilingus, sodomie, stimulation du point g et du « deep spot » : tout est expliqué en détail pour transformer un homme en amant irrésistible et faire jouir. Si l’orgasme féminin consacre l’excellence du séducteur, il est surtout un moyen de contrôler et dominer les femmes dont l’appétit sexuel serait inextinguible. « Procuré par les hommes à leurs partenaires légitimes, le plaisir féminin est d’abord une affaire de contrôle, un moyen de s’assurer la soumission des femmes par le biais de leur sexualité. », souligne l’anthropologue. Mais attention, cette séduction hétérosexuelle n’est pas une fin en soi mais un moyen de se valoriser au sein de la communauté des hommes car pour ces séducteurs, l’amitié masculine importe bien plus que l’amour des femmes.

Le plaisir se prend

Certes la Communauté de la séduction n’est pas très importante. Apparue à la fin des années 1990 en Californie grâce à l’essor des réseaux sociaux numériques et des techniques du développement personnel, elle ne compte en France qu’environ 30.000 jeunes hommes (entre 18 et 30 ans) répartis en une dizaine de groupes. Mais elle est cependant le reflet de la société et des préoccupations masculines.

Ces séducteurs masculinistes et les 800 jeunes hommes de l’étude américaine semblent partager une vision commune de l’orgasme féminin. Il est pour eux, le résultat de leurs prouesses et la preuve de leur virilité. Pourtant le plaisir, il ne se donne pas mais se prend !

(1)Differences in Orgasm Frequency Among Gay, Lesbian, Bisexual, and Heterosexual Men and Women in a U.S. National Sample. Etude de David A Frederick, H Kate St John, Justin R Garcia, Elisabeth A Lloyd. Publication dans Archives of Sexual Behavior, en 2017 (2)Do Women’s Orgasms Function as a Masculinity Achievement for Men ? Etude de Sara B. Chadwick & Sari M. van Anders. Publication dans The journal of Sex research en 2017

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