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60% des Européennes ont subi des violences sexistes et sexuelles au travail

Deux ans après l’affaire Weinstein, quelle est l’ampleur des violences sexistes et sexuelles subies par les Européennes sur leur lieu de travail ? Pour la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes, l’Ifop a enquêté.

Journaliste Temps de lecture: 7 min

C’est au travail que de fréquentes rencontres amoureuses se font mais c’est aussi là que se passent nombre d’agressions sexistes et sexuelles. Loin d’être un environnement policé, où règne le contrôle de soi, le monde professionnel est le lieu où une majorité d’Européennes subissent une forme de violence sexiste ou sexuelle au cours de leur carrière. Pas moins de 60 % en moyenne rapportent avoir déjà été victimes de ces violences, si l’on en croit une enquête menée en octobre dernier par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes. Deux ans après l’affaire Weinstein qui éclatait le 5 octobre 2017, pas moins de 6025 femmes âgées de 18 ans et plus résidant en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis ont ainsi été interrogées, révélant que de telles violences sont toujours bien présentes et trop fréquentes.(1)

L’Espagne et l’Italie, pays en tête du classement

Ce nombre de victimes au sens « large » – il intègre toutes les formes d’atteintes sexuelles ou sexistes, qu’elles aient été répétées ou non – s’avère sensiblement plus fort en Espagne avec 66 % et en Allemagne avec 68 % contre 55 % en France, 56 % en Italie et 57 % au Royaume-Uni.

Mais ce pourcentage plus élevé doit sans doute être mis en lien avec les politiques volontaristes et les polémiques d’envergure nationale de ces deux pays qui ont dû accroître la prise de conscience de l’opinion sur ces enjeux. On rappelle que l’Espagne a voté un plan d’un milliard d’euros pour le pacte d’État contre la violence sexiste et que l’Allemagne s’est lancée dans un plan d’action fédéral de 130 mesures en 2013. De même en 2015, notre voisin a été ébranlé par une vague d’agressions et l’Espagne a vécu l’affaire de la « meute » et le harcèlement d’ouvrières agricoles marocaines en Andalousie.

21 % dans les 12 derniers mois

Il est important de relever que pour beaucoup de femmes, il ne s’agit pas d’une lointaine expérience car 21 % des Européennes ont été victimes d’une forme de violence sexiste ou sexuelle au cours des 12 derniers mois. Et dans le détail par pays, ce taux met globalement en lumière une plus forte prévalence de ces violences dans les pays latins comme l’Espagne et l’Italie, en particulier pour des interactions qui peuvent y être culturellement associées à de la séduction comme des remarques sur le physique, propos obscènes, invitations à dîner, cadeaux gênants.

Des violences multiples : du sifflement à la main aux fesses

Ce chiffre global n’en masque pas moins le caractère varié, très protéiforme, de ces agressions. Comme dans les espaces publics, les violences verbales ou visuelles sont les atteintes les plus répandues sur le lieu de travail, au premier rang desquelles les sifflements ou les gestes grossiers - 26 % en ont été victimes à plusieurs reprises - et les remarques déplacées sur la silhouette ou la tenue : 17 % en ont fait l’objet de manière répétée.

Les pressions psychologiques dans une logique de type « promotion canapé » constituent en revanche une pratique plus limitée : « seules » 9 % des Européennes ont déjà subi au moins une fois des pressions afin d’obtenir de leur part un acte de nature sexuelle comme un rapport sexuel en échange d’une embauche ou d’une promotion.

Mais la « pression sexuelle » subie au travail est loin de se réduire à des propos sexistes ou à des pressions psychologiques. Nombre de femmes rapportent avoir fait l’objet d’agressions physiques. Quelque 14 % ont subi à plusieurs reprises des contacts physiques légers, voire d’agressions sexuelles au sens strict du terme : 18 % d’entre elles ont subi une agression sexuelle au moins une fois lors de leur carrière via des attouchements sur une zone génitale ou érogène comme la main aux fesses.

Des rapports sexuels forcés

L’étude met aussi en évidence qu’une proportion élevée de femmes – pas moins de 11 %, admettent avoir déjà au cours de leur carrière un rapport sexuel « forcé » ou « non désiré » avec quelqu’un de leur milieu professionnel, c’est-à-dire soit qu’elles ont pu accepter alors qu’elles ne le souhaitaient pas vraiment, soit qu’elles ont été forcées d’avoir contre leur volonté.

Si ce chiffre est à distinguer de celui du viol au sens strict, il n’en met pas moins en exergue la « zone grise » qui peut exister autour du consentement dans un environnement où ce dernier peut être extorqué dans un contexte de subordination, d’intimidation ou de manipulation.

Les jeunes plus touchées comme les femmes musulmanes

Au regard de cette étude, les femmes actives sont loin d’être toutes exposées au même niveau de sexisme ou de harcèlement sexuel dans leur environnement professionnel. Au contraire, les travailleuses s’y avèrent d’autant plus exposées qu’elles sont jeunes, urbaines, discriminées pour leur orientation sexuelle (comme les bis et lesbiennes) ou leur religion.

Les musulmanes sont particulièrement concernées  : 40 % des musulmanes ont vécu « au moins une » forme de violence sexiste et sexuelle sur leur lieu de travail au cours de l’année précédant l’enquête, contre 26 % des protestantes et à peine 20 % des catholiques. Cette surreprésentation des musulmanes parmi les victimes récentes doit s’expliquer par le fait que la population musulmane est surreprésentée dans les pans de la population les plus exposées à ces formes « d’harcèlement » étant souvent jeune, de catégories populaires et habitant les grandes agglomérations.

Des tenues problématiques

Les femmes sont aussi davantage touchées si elles ont déjà été victimes de violences sexuelles ou si elles travaillent dans un environnement masculin ou forcées à porter des tenues montrant leur formes, leur poitrine ou leurs jambes. L’étude de l’Ifop confirme le lien entre habillement et harcèlement et plus précisément l’idée selon laquelle imposer une tenue « sexy » accentue les risques de violences sexuelles.

De toutes les catégories de travailleuses, c’est en effet dans les rangs des femmes soumises à des règlements vestimentaires leur imposant le port d’une tenue de travail mettant en valeur leurs formes ou dévoilant certaines parties de leurs corps. Il s’agit des femmes devant porter par exemple des talons, un tailleur ou une jupe. C’est parmi celles-ci que l’on trouve le plus de femmes (33 %) ayant eu des un rapport sexuel « forcé » ou « non désiré » .

Comme le note François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop« En termes de politiques publiques, cela soulève donc la question des tenues travail genrées qui peuvent accentuer la pression sexuelle sur les femmes en faisant des « objets de désir » stéréotypés, notamment dans des secteurs des services publics, hôtellerie, restauration... où elles sont directement en contact avec le public. »

Des femmes résignées

Malgré la médiatisation de la problématique et l’importance du mouvement Metoo, l’étude de l’Ifop constate que la résignation reste encore la réaction la plus répandue aux violences de genre au travail. Les femmes ayant adopté une stratégie « active » en parlant à un interlocuteur susceptible de régler le problème en interne comme un supérieur hiérarchique ou un réprésentant syndical, restent peu nombreuses : 9 % à 16 % selon les ca.s

Ainsi, seule une très faible minorité de victimes de harcèlement au travail parvient à briser le mur du silence qui paralyse tout particulièrement les femmes âgées ou ne disposant pas d’un niveau de vie leur permettant de prendre le risque d’un conflit avec leur hiérarchie

À noter que ce ne sont pas les contacts physiques qui poussent le plus de femmes à en parler mais les pressions psychologiques telles que des propositions de promotion ou d’embauche en échange de faveurs sexuelles. Toutefois, même dans ces derniers cas, à peine 16 % des victimes osent en parler à un supérieur ou un syndicat. Les données montrent toutefois que les choses changent dans la mesure où l’on constate une indéniable libération de la parole chez les jeunes femmes de moins de 25 ans qui sont trois fois plus nombreuses (27 %) que les seniors (10 %) à avoir osé en parler à un supérieur.

(1) Étude Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et la FEPS réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 25 au 30 octobre 2018 auprès d’un échantillon de 6025 femmes, représentatif de la population féminine âgée de 18 ans et plus résidant en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

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