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«Il faut voir du porno !»

La pornographie ne relève pas seulement du voyeurisme ; elle est aussi transgression par rapport à l’ordre établi. Interview d’Éric Falardeau qui signe l’essai « Le corps souillé ».

Journaliste Temps de lecture: 7 min

Elle est méprisée quand elle n’est pas diabolisée. La pornographie a mauvaise réputation, souvent accusée de tous les maux. Mais à lire « Le corps souillé, Gore, pornographie et fluides corporels » d’Éric Falardeau, on se dit que les choses ne sont pas aussi simples, que si le porno dérange tant notre société, c’est sans doute parce qu’il frappe là où cela fait mal, qu’il transgresse les normes sociales, donne corps à notre violence intérieure, défie philosophiquement la mort ! Rien de moins ! Dans cet essai, le docteur en communication et professeur de cinéma à Montréal, analyse les images du cinéma porno et gore pour nous montrer qu’au-delà du dégoût ou de la fascination engendrés, elles expriment une angoisse existentielle. ! L’essai est intelligent et interpellant.

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Éric Falardeau, dans « Le corps souillé », vous nous faites comprendre combien le lien entre le sexe et l’image est fort. Il explique le succès des films pornographiques ?

« L’image permet un regard inédit sur la sexualité de par ses moyens techniques, – pensons au gros plan par exemple – instaurant de facto un discours unique sur celle-ci. Nous avons tendance depuis l’arrivée sur le web de ces productions à oublier la force d’impact que pouvait et peut encore avoir un gros plan sur un sexe projeté sur un grand écran. C’est médusant ! La pornographie aspire d’abord et avant tout à offrir à son public une expérience sensorielle, affective, voire irrationnelle. Le plan pornographique est rythme, composition, texture. Il provoque. C’est une forme de plaisir très particulière qui est convoquée par l’image et qui confère une puissance d’impact et de fascination qui en décuple sa charge émotive. »

La transgression est au cœur de la sexualité. C’est une autre explication à l’engouement pour la pornographie.

« Cette idée n’est pas nouvelle. Foucault, Bataille et bien d’autres ont abordé ce plaisir de la transgression dans leurs écrits. Ce que la pornographie ajoute, c’est l’incarnation de fantasmes et de scripts sexuels dans des corps réels, permettant une transgression d’ordre symbolique, mais tout autant, sinon plus, excitante. Du voyeurisme spectactoriel en passant par des scénarios tabous comme celui de l’inceste (l’un des termes les plus recherchés sur PornHub ces dernières années), la pornographie devient un miroir de notre intériorité désirante, domptée par la vie en société. Plus encore, en présentant ce qui est mis de côté dans les médias de masse, pensons à tous ces « corps invisibles » souvent jugés non désirables (personnes âgées, handicapées, souffrant d’embonpoint, etc.) ou encore au renversement critique et grotesque des institutions ou normes morales, la pornographie fait, sans nécessairement le vouloir, œuvre politique. Ses transgressions à l’ordre établi s’inscrivent dans une logique revendicatrice et, dans certains cas, résolument progressistes. Même si ça ne semble pas le cas au premier abord ! »

Vous faites également le lien entre le sexe et la mort… Celui-ci ne devrait-il pas réduire le succès du porno ?

« Aucunement. C’est justement ce désir de répondre à la mort qui traverse en filigrane la pornographie. Quelle plus belle célébration de la vie que le plaisir sexuel ! Et on ne peut que jouir davantage quand on est conscient de défier l’inévitable. »

Vous nous expliquez aussi que les fluides corporels, et en particulier le sperme, sont très présents dans les films pornos. Pourquoi cette présence puisqu’ils sont, selon vous, objets de dégoût ?

La prépondérance du sperme est avant tout un facteur d’ordre narratif. Le plan d’éjaculation est une preuve visuelle, documentaire, que l’acte sexuel a bel et bien eu lieu. Par contre, plusieurs autres fluides sont pour la majorité des spectateurs et spectatrices proscrits car objets de dégoût à l’écran et dans la vie : menstruation, urine, excréments. »

Le cinéma porno a connu, écrivez-vous, son âge d’or dans les années 70. Pourquoi ?

« C’est plutôt le discours critique qui a tendance à considérer que cette période est son âge d’or. En fait, cette période correspond à l’hégémonie du modèle narratif classique, c’est-à-dire que l’on sort de la saynète ou de la forme courte pour privilégier le récit. La pensée répandue est de croire que les quelques années entre la légalisation du X et l’arrivée de la vidéo ne sont qu’une parenthèse dans l’histoire du genre au cours de laquelle la narrativité a été mise de l’avant – donc une idée de l’auteurisme associée à l’air de liberté de l’époque – à l’encontre de ses aspirations monstratives.

La vidéo aurait signé l’acte de décès de cet âge d’or et provoqué de nombreuses transformations esthétiques, thématiques et narratives dont les plus importantes seraient la disparition progressive des projections en salle, le retour dans la sphère privée (le visionnage à domicile) ou underground de la porno (fanzines, réseaux de distribution parallèle, etc.), l’émergence de productions amateurs, l’abandon du récit et le retour à la simple présentation de l’acte sexuel. La production numérique et la diffusion en ligne ne serait alors que le prolongement logique de ce processus et le juste retour aux origines constitutives de la pornographie audiovisuelles qui consiste uniquement à montrer des actes sexuels. Mais est-ce que l’intérêt et le propos de la pornographie se trouvent dans le modèle narratif hégémonique du cinéma ? Selon moi, il semble que poser la question, c’est y répondre. »

Quel film porno conseilleriez-vous ?

« Paradoxalement, mes films préférés se situent exactement dans cette période, et ce, pour plusieurs raisons allant de l’humour au sérieux des thèmes abordés. Je recommande fortement les longs-métrages de Radley Metzger et plus particulièrement son chef-d’œuvre «  The Opening of Misty Beethoven » (1976). Les univers surréalistes et sombres de Stephen Sayadian « Café Flesh », « Dr. Caligari ». « Sexworld « d’Anthony Spinelli, (1978) est également fascinant dans son exploration du besoin des êtres d’entrer en contact les uns avec les autres, d’être aimé et d’avoir une sexualité conséquente. « Boys in the Sand » de Wakefield Poole,(1971), titre important dans l’histoire du X gai, est définitivement un incontournable. Il y a même un clin-d œil à ce film à la fin de la première saison de The Deuce ! Sans oublier les délires clipesques des années quatre-vingt avec entre autres les « Dark Brothers » (New Wave Hookers en tête). Du côté français, mon cœur penche pour les films d’amour de Gérard Kikoïne et son film « Parties fines ».

Comment qualifiez-vous les productions pornographiques actuelles ?

« On assiste aujourd’hui à une vaste entreprise de communication pour mettre de l’avant une pornographie alternative. En fait, les pornos féministe, éthique, alternative, etc., ont toujours existé. Le Club 90 avec entre autres Annie Sprinkle, Candida Royalle et Veronica Hart en est un excellent exemple. Cela dit, l’attention critique et médiatique qu’on accord à cette nouvelle production est réjouissant. Elle permet de faire tomber des tabous entourant le X, de permettre à des gens de se découvrir hors des canons cis hétéronormatives et plus encore. Par contre, on a tendance à réitérer des présupposées essentialistes entourant le féminin et le masculin. Par exemple, les femmes aimeraient les scènes bien tournées de manière artistiques, bien éclairées, avec des préliminaires tandis que les hommes préféreraient tout ce qui est plus crade et hard. Je ne crois pas que ce soit le cas. La porno, comme les autres genres, a tendance à diviser sa production avec des critères qualitatifs séparant le bon grain de l’ivraie, le noble au vulgaire. »

Faut-il voir du porno ?

« Définitivement. D’abord et avant tout comme forme artistique légitime et pertinente dans ce qu’elle questionne et donne à expérimenter. Ensuite, pour tout ce que celle-ci peut amener de positif dans notre découverte de la sexualité et l’acceptation d’identités alternatives. »

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Le corps souillé est paru aux éditions L’instant même, collection l’instant ciné, 154 p.,18 euros.

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