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Affaire Duhamel: comment comprendre l’inceste?

Dans son ouvrage « La familia grande », Camille Kouchner accuse son beau-père Olivier Duhamel d’avoir abusé de son frère jumeau. Comment comprendre de telles violences sexuelles ? Les réponses de Patric Jean, auteur de « La loi des pères », ouvrage consacré à l’inceste et la pédophile.

Journaliste Temps de lecture: 6 min

La France entière est bouleversée par les accusations de Camille Kouchner. Dans « La familia grande » qui est sorti ce 7 janvier aux éditions du seuil, la juriste française de 45 ans et fille de l’ancien ministre et fondateur de « Médecins sans frontières Bernard Kouchner, accuse sans le nommer le politologue Olivier Duhamel d’avoir agressé sexuellement pendant deux ans son frère jumeau adolescent. Les agressions se répétèrent durant deux longues années et furent sues en 2008 par la mère et tues…

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Comment comprendre ce drame familial ? Comment un homme aussi réputé que Duhamel peut-il avoir commis de telles violences ? Comment une famille peut-elle se taire si longtemps ? Les faits datant des années 80 sont aujourd’hui proscrits.

Patric Jean répond à ces questions et nous éclaire sur ces violences extrêmes lui qui analysa pendant 10 ans l’inceste et la pédophilie pour écrire un livre choc « La loi des pères » (éd Du Rocher).

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Quelle a été votre réaction en entendant parler de ce scandale ?

« Ce ne fut pas la surprise. Malheureusement. Ces violences sont tellement courantes : il faut savoir que 6 % des enfants – même 8 ou 10 % selon certaines études- subissent au moins une agression sexuelle, une tentative de viol ou un viol avant la fin de l’adolescence. La plupart de ces agressions – 7 sur 10 – se passent dans le cadre familial ou dans un milieu proche de la famille. La grande majorité des victimes – je n’ai pas les chiffres exacts – sont des filles et 98 % des agresseurs sont des hommes. »

A-t-on des chiffres sur l’inceste ?

« Non car la définition même de l’inceste est floue mais ce qui est sûr, c’est que la plupart des violences sexuelles se passent dans le cadre familial et sont le fait d’abord des pères, puis des grands-pères, ensuite des beaux-pères, des oncles, des grands frères et du meilleur ami de la famille. »

L’inceste est pourtant un tabou universel si l’on en croit l’anthropologue français Claude Levi-Strauss.

« Levi-Strauss a bien expliqué que l’inceste est prohibé non pour des raisons morales mais utilitaires. Les hommes, se considérant comme propriétaires des femmes et des enfants, échangent les premières pour créer des alliances avec d’autres groupes humains. Mais ce tabou n’a pas empêché la réalité de l’inceste. Il a toujours existé et existe toujours.

Il faut se rendre compte que jusqu’au 19 e siècle, les agressions sexuelles sur mineur.e.s ne sont pas interdites par la loi. On trouvait normal que le fils d’une bonne famille ait des relations avec la petite bonne de 13 ans de la maison ou que le patron abuse de ses toutes jeunes employées. À partir du 19 e siècle, la loi condamne la pédophilie mais en même temps on va voir apparaître des théories qui nient le phénomène et sont pro-pédophilie.

Même au XXe siècle, on va encore voir des associations qui affirment que les enfants ont le droit d’avoir une vie sexuelle. De même notre époque continue de nier le problème et la justice refuse parfois d’écouter les plaintes d’un enfant accusant son père d’agression sexuelle en invoquant le fameux « SAP » « syndrome d’aliénation parentale ». Le SAP est un concept flou et non scientifique, inventé par un psychiatre américain Richard A. Gardner selon lequel les propos tenus par l‘enfant sont les produits des désirs de vengeance de mères manipulatrices. Et toujours selon ce même Gardner, pas moins de 90 % des enfants qui dénoncent une agression sexuelle masculine souffrent du « SAP » de leur mère. La théorie de Gardner qui n’a jamais été publiée dans aucune revue scientifique, a convaincu des magistrats américains avant d’arriver en Europe. Certains magistrats le prennent en considération quand d’autres le dénoncent. Mais comme la justice manque de moyens financiers, faire appel à ce SAP est très pratique alors qu’écouter les enfants abusés est long – une cinquantaine d’heures – et coûteux. Il faudrait aussi multiplier par 20 le nombre de cellules pour emprisonner les agresseurs. »

L’inceste touche-t-il tous les milieux sociaux ?

« Toutes les catégories sociales sont touchées de la même manière. Les incestes se passent dans la haute société comme dans les milieux pauvres. »

Y a-t-il un profil type de l’homme incestueux ?

« Le profil est celui de Monsieur tout le monde. Tant d’hommes peuvent devenir les auteurs d’agressions sexuelles sur des enfants : pas moins de 4 %, 1 homme sur 25, est susceptible de passer à l’acte et d’agresser sexuellement un enfant ! Il faut se rendre compte de cela ! Cela n’est pas dû au caractère d’un homme ; l’inceste et la pédophilie sont des phénomènes culturels et systémiques qui disent le pouvoir des hommes. Sans doute l’affaire Duhamel est-elle la première d’une longue liste. Ce drame va sans doute donner envie à d’autres de parler. Les langues vont se délier. »

Camille Kouchner a parlé de ce drame à sa famille seulement en 2008 et le rend public aujourd’hui. Pourquoi ce long silence ?

« L’omertà est la règle en la matière. Je l’expliquerais par deux éléments. D’abord on a longtemps cru que les enfants victimes d’agressions sexuelles ne gardaient pas de séquelles psychologiques et qu’ils pouvaient se reconstruire. On sait aujourd’hui qu’ils en gardent toute leur vie et que ces victimes sont surreprésentées parmi les personnes souffrant de toxicomanie, d’alcoolisme et les suicidaires. Un autre élément explique ce règne du silence ; l’importance de la famille. On préfère qu’une victime se taise plutôt qu’une famille explose. »

Vous avez publié un ouvrage bouleversant « La loi des pères » (éd Du Rocher) dans lequel vous expliquez l’importance de la pédophilie et de l’inceste et montrez l’aveuglement de la justice et de la société. Vous expliquez que l’inceste et la pédophilie sont liés à la société patriarcale.

« L’inceste et la pédophilie ne sont pas des faits divers ou des actes perpétrés par des monstres isolés mais ils sont des faits sociaux, qui s’inscrivent dans notre culture patriarcale. Notre culture est basée sur deux règles. La première est le primat de l’aîné sur le cadet et donc des parents sur les enfants ; la seconde est la domination des hommes sur les femmes. Si vous combinez ces deux règles, vous comprenez l’importance du père. L’agression sexuelle d’un enfant matérialise ce pouvoir paternel.

L’inceste et la pédophilie sont les résultantes du droit archaïque des hommes qui existe toujours dans les sociétés les plus modernes. Encore aujourd’hui l’homme est dans le groupe social dominant. Le pouvoir reste masculin et vertical. Le père reste une figure symbolique dans les mondes politique, religieux, économique, juridique. Les mots disent toujours cette importance du paternel ; on parle en politique de « père fondateur de la nation », de « père de la nation ». Au curé, on s’adresse en disant « mon père ». « Patron » comme « pape » sont d’autres mots qui font référence au père.

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