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«La civilisation grecque ancienne opte ouvertement pour l’amour homosexuel»

Quelles étaient les mœurs sexuelles de la Grèce antique ? Interview de l’historienne Aurore Guillemette qui signe avec Aurélien Clause « Sapphô, la Dixième Muse ».

Temps de lecture: 9 min

Vous avez écrit un ouvrage sur la poétesse Sappho qui vécut au VIIe siècle avant notre ère. Quelles étaient les mœurs sexuelles à cette époque de la Grèce antique ?

Il est certain que dans la majorité des cas, les Grecs étaient bisexuels. Mais cette « norme » était beaucoup plus admise pour le sexe masculin que féminin. Dans le milieu aristocratique de la Grèce archaïque, les hommes vivaient l’homosexualité ou plutôt la pédérastie, tout en étant hétérosexuels dans le cadre du mariage. La pédérastie avait une fonction initiatique, destinée à préparer les adolescents à la vie adulte et donc à leur rôle de citoyen. Par contre chez les femmes, dans le thiase, cette sorte d’école, les relations amoureuses n’avaient pas de valeur pédagogique. Elles étaient autonomes et pouvaient prendre la forme de mariages rituels. Mais les femmes restaient confinées dans leurs maisons et avaient une vie beaucoup plus retirée et contrôlée par leurs pères puis maris et, à défaut, frères aînés.

Les femmes sont surveillées ?

Les hommes étaient, en quelque sorte, des « gardiens » de la chasteté des femmes. Ils redoutent de la part des femmes une capacité apparemment illimitée pour les rapports sexuels. Chez l’homme, l’éjaculation met un terme au coït. Chez la femme – semble-t-il-, l’acte sexuel paraît ne pas avoir de fin. Elle possède une énergie sexuelle sans limites et, par conséquent, terrifiante. Les Grecs craignent que la femme ne soit qu’une bête sauvage qui, sans la contrainte du mariage, se livrerait avec joie à son appétit nymphomane. La société a des notions à la fois fantaisistes et terrifiantes sur la sexualité féminine. Sitôt qu’une femme est mariée, son appétit sexuel destructeur se trouve dompté. Les jeunes filles vierges constituaient un danger : leur appétit sexuel menaçait la pureté du sang athénien. Lié à cette « sauvagerie » supposée des jeunes femmes, il y avait cette notion qu’à la puberté, les jeunes filles, en particulier, devenaient incontrôlables et qu’il y avait à cela des raisons physiologiques. Selon une idée très communément répandue, dès qu’une femme commençait à avoir ses règles, si l’orifice de son vagin n’avait pas été ouvert par un rapport sexuel avec un homme, le sang menstruel ne pouvait s’écouler facilement. Il s’en suivait des problèmes redoutables. On rapporte qu’à cette époque, certaines jeunes filles, à cette étape de leur vie, se jetaient au fond des puits pour s’y noyer. Ce que sous-entend la littérature médicale de cette époque, c’est qu’il est conseillé, pour une femme qui souffre de ce genre de problème, de se marier, parce que les femmes qui ont des rapports sexuels avec des hommes jouissent d’une meilleure santé que celles qui n’en ont pas. L’homme était donc la réponse à tous les problèmes de la femme, quels qu’ils soient. Dans la famille athénienne, la fille passait sa brève enfance avec la certitude absolue qu’elle sera mariée dès qu’elle aura atteint la puberté.

Comment préparait-on les filles au mariage ?

Pour se préparer au mariage, toutes les jeunes filles athéniennes devaient assister à une fête religieuse à Braorum, à 38 kilomètres d’Athènes. Les fillettes, certaines âgées de dix ans, entraient dans le sanctuaire en serrant contre elles leur jouet favori. Il leur faudra quitter le foyer pour épouser des hommes beaucoup plus âgés. Je suis convaincue que cette fête symbolisait cette notion selon laquelle la sexualité féminine avait besoin d’être domptée. C’est une façon de commémorer par un rite la transition entre l’enfance et l’âge adulte. Pour les jeunes filles, l’âge adulte signifiait le mariage et l’enfantement de citoyens. C’était donc une façon de formaliser cette transition. Selon Platon, l’utérus est un animal qui ne connaît pas de repos, car il est naturellement sec et douloureux. La médecine grecque était convaincue que les femmes recherchaient désespérément les fruits mâles, seuls le mariage et la grossesse pouvaient étancher leur soif de lubricité. Ce qui se passe lors du culte de Braorum, c’est que les filles perdent toute mesure, font les folles et se livrent à toutes les folies avant d’être domptées et dressées par le mariage. Dans la civilisation grecque, plus que dans toute autre, le mariage signifiait la soumission totale de la femme. Lors de la cérémonie de mariage proprement dite, l’époux saisissait sa jeune épouse par la taille dans un geste qui évoquait davantage le rapt que la séduction. La tradition voulait que la jeune fille exprime le chagrin de se voir ainsi enlevée et selon le rite, le jour des noces était l’un des plus tristes qui soit dans la vie d’une femme.

Vu de notre époque, le destin de la femme grecque n’est guère réjouissant. On peut comprendre que ce jour de noces soit triste.

Lorsque la jeune épousée franchissait le seuil de sa nouvelle demeure, elle était mise à l’écart de la société. Sa seule et unique fonction consistera à produire des mâles de la souche athénienne la plus pure. Pour les fils des citoyens athéniens, en revanche, ce genre de restriction n’existait pas. Les Grecs disaient que les femmes, c’est pour les affaires et les garçons, pour le plaisir, ce qui signifie que les femmes étaient considérées comme faites pour procréer et vaquer aux tâches domestiques, les garçons pour s’amuser. Les Athéniens n’attendaient de leur femme ni amour, ni amitié, ni plaisir sexuel durable. Ces aspirations ne pouvaient être comblées qu’en compagnie d’autres hommes.

Les femmes sont de simples génitrices.

Le mariage n’a qu’un but et un seul : la reproduction. Si l’homme recherche l’amour, la complicité et le plaisir sexuel, c’est vers ses pairs qu’il doit se tourner. Les éléments qui ont abouti à ce statut sexuel particulier sont présents depuis les origines de la cité athénienne. Dans son dialogue intitulé Le Banquet, le philosophe Platon discute de la nature de l’amour et du sexe. Il considère que l’amour entre homme et femme est un amour purement physique, inférieur à un amour plus élevé, l’amour spirituel qui, lui, ne peut exister qu’entre deux hommes. Si les hommes se tournaient vers d’autres hommes, c’était parce que le mariage n’était rien d’autre qu’une union arrangée et dictée par l’intérêt. Les femmes privées d’éducation et séquestrées dans leur logis n’offraient au mari qu’une compagnie limitée, peu de stimulation intellectuelle et un minimum d’expérience érotique. Leur rôle consistait essentiellement à élever un maximum de citoyens mâles. En cela, la civilisation grecque ancienne était la première à opter ouvertement pour l’amour homosexuel.

Les femmes ne sortaient jamais de chez elles ?

Une fois par an, les épouses et les mères étaient autorités à quitter leur maison pour assister à une fête religieuse. C’était un événement réserve aux femmes et qui célébrait la fertilité de la terre, sorte de fête des moissons. Les femmes faisaient des offrandes à Déméter, déesse de la terre cultivée, avec l’espoir de favoriser leur propre fertilité. Si l’on nous dit que dans l’Antiquité classique le rôle des femmes a toujours été marginal, il existe en revanche un domaine où il leur était vraiment permis de s’exprimer, celui de la religion. Le sanctuaire de Déméter à Corinthe, uniquement réservé aux femmes, était constitué de plusieurs petites salles à manger semblables aux salles de banquets masculins, avec des bancs le long des murs qui permettaient de s’allonger. Dans la Grèce ancienne, contrairement aux hommes, les femmes ne mangeaient pas allongées, mais assises. Ces couches montrent donc que durant quelques jours, au moins, les femmes se comportaient comme des hommes. Je crois que c’est une indication sur la sexualité des femmes. Je pense qu’elles s’allongeaient comme le faisaient les gommes pour prendre leur rôle. En outre, étant donné ce qu’on connaît des mœurs athéniennes, il est probable qu’elles se racontaient des blagues salaces, et qu’elles ne devaient pas s’ennuyer. L’occasion de se rencontrer, de bavarder, d’échanger avec d’autres femmes devait être vécue comme un intermède béni qui rompait avec les restrictions masculines et l’isolation domestique. Mais cette fête avec, également, une signification religieuse importante. Il semble que les femmes l’aient utilisée pour récupérer un certain contrôle sur leur propre corps.

Toutes les femmes étaient ainsi soumises à la domination masculine ?

Il existait une autre catégorie d’Athéniennes, des femmes qui pouvaient offrir aux hommes l’amour, les plaisirs du sexe et de la conversation : c’étaient les prostituées. Dans la Grèce antique, la prostitution était légale. Les tarifs étaient fixés par l’État, et les prostituées étaient soumises à l’impôt. On considérait les bordels comme des établissements d’hygiène publique. À Athènes comme dans d’autres villes, ils étaient situés en dehors de l’enceinte de la ville. Cet endroit s’appelait le kerameikos. Son nom vient des fabriques de céramiques qui abondaient dans ce secteur. C’était le quartier industriel d’Athènes, loin du centre, le quartier des potiers et des prostituées. Dès qu’on quitte la cité, on trouve un bordel. Ce secteur était plein de prostituées hommes ou femmes, qui faisaient le pied de grue en tenue aguichante ou si peu vêtues qu’on pouvait voir à travers et qui racolaient les clients. La plupart des prostituées étaient des esclaves ou des prises de guerre, mais certaines étaient issues de familles de citoyens tombés dans la misère. Les prostituées avaient leur rang et leur tarif pour satisfaire toutes les bourses. Au bas de l’échelle, il y avait les prostituées en maison ou celles qui se prostituaient dans les rues. Au milieu, les prostituées d’occasion, celles qu’on embauchait lors des banquets pour faire de la musique ou converser avec les hommes, et au-dessus, il y avait les maîtresses attitrées des personnages importants qui pouvaient devenir très riches et très puissantes. Cette prostituée de catégorie supérieure, l’équivalent de la courtisane, s’appelait une hétaïre. Sa position lui permettait de mener sa vie à sa guise, et d’influer sur celle de ses clients, son rang lui permettait d’avoir des comportements qui étaient strictement interdits aux épouses de ses clients.

Les hétaïres sont à l’opposé des épouses ?

Les bonnes épouses étaient modestes et silencieuses, les hétaïres pouvaient plaisanter, flirter et bavarder avec ses clients non pas comme une concubine soumise mais comme une femme qui détient à la fois la richesse, le rang et le pouvoir. Étant donné que les épouses ne sont pas des amies pour les hommes, cela ouvre un large champ à l’intimité féminine que les hétaïres se hâtent d’occuper. Avec elles, on peut flirter et avoir des conversations. On peut même leur vouer une véritable dévotion. C’est avec les prostituées que commence à naître la véritable passion amoureuse hétérosexuelle. Aux autres femmes d’Athènes, on n’accorde pas le centième de la liberté dont jouissaient les hétaires.

Aurore Guillemette et Aurélien Clause sont les auteurs de Sapphô paru aux éditions Belladone.

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