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Le christianisme a-t-il un problème avec la sexualité?

Quelle est la conception de la sexualité de l’Église ? A-t-elle évolué au fil des siècles ? Interview de Cécile Vanderpelen-Diagre, historienne et directrice du Centre interdisciplinaire d’études des religions et de la laïcité de l’U.L.B. qui co-édite l’ouvrage collectif « La Sainte Famille, Sexualité, filiation et parentalité dans l’Église catholique ».

Temps de lecture: 7 min

Le fils de Dieu et sauveur du monde vient de naître d’une femme vierge. Le Christ est suivi par douze apôtres, des hommes qui abandonnent tout, famille et travail, pour suivre leur prophète. Des évangiles qui n’abordent jamais la sexualité même si Jésus prend la défense de la femme adultère. Dès le départ, le christianisme semble avoir un problème avec la sexualité…

Vanderpelen

En effet. Mais ce n’est pas la seule religion à avoir un problème avec la sexualité. La plupart des religions énoncent des normes sur le licite et l’illicite en la matière. Cela vient notamment d’un besoin de distinguer le permis de l’interdit. Ce qui est permis, c’est la sexualité à but reproductif et ce qui est interdit est le plaisir gratuit.

Ce rapport complexe au corps, au plaisir et au sexe est influencé, expliquez-vous, par différents courants philosophiques antiques.

Dès l’origine, le christianisme est marqué par l’influence des stoïciens et des néoplatoniciens qui se méfient de l’emprise du plaisir sur la volonté humaine. Le judaïsme rabbinique a également connu un raidissement qui l’incite à concevoir la sexualité comme génératrice d’un désordre social.

Les évangiles n’ont pas été écrits par le Christ mais peut-on connaître sa pensée sur la sexualité ?

C’est impossible car les premiers textes des évangiles ont été écrits quelques décennies après la mort du Christ pour être complétés au fur et à mesure des siècles. Mais c’est surtout saint Augustin qui au IV e siècle va poser les bases de la conception catholique sur la sexualité. Pour résumer sa pensée, je dirais qu’elle considère la sexualité comme impure et dangereuse car elle éloigne l’homme de la foi religieuse. Par le sexe, l’homme est soumis aux plaisirs du corps plutôt que de se préoccuper du religieux.

Au XII e siècle, le sexe devient un péché s’il n’a pas un but reproductif et le mariage devient une institution. Que se passe-t-il alors pour qu’il y ait une telle radicalisation ?

À cette époque, les théologiens et les canonistes tentent de fixer la doctrine et la finalité du mariage, qui devient un sacrement.

La femme est quant à elle enfermée dans un rôle d’épouse vertueuse et de mère. D’où vient ce sexisme ? D’une culture méditerranéenne machiste ?

C’est un peu plus compliqué. Pour l’Église, les femmes peuvent également choisir d’être religieuses, domaine dans lequel elles sont en principe égales aux hommes depuis l’antiquité. Dans la famille, en revanche, elles sont soumises aux hommes, comme dans tout système patriarcal. C’est loin d’être l’apanage des pays entourant la Méditerranée. Presque partout et de tout temps, les hommes ont cherché à imposer leur suprématie sur les femmes. L’enjeu pour eux est de contrôler leur fécondité pour s’assurer la paternité des enfants à naître.

Le XXe siècle va durcir considérablement le conservatisme de l’Église. Différents papes, Paul VI, Jean XXIII vont renforcer la conception d’une sexualité acceptée uniquement si elle a un but reproductif.

C’est qu’à la fin du XIXe siècle, l’Église perd son autorité politique dans tous les États où le libéralisme installe son autorité. Elle consacre désormais toute son énergie à gagner une autorité et une fonction d’experte dans le domaine de l’intimité, de la famille et de la sexualité.

Pourtant des voix s’élèvent contre cette vision restreinte de la sexualité comme celle du prêtre belge Pierre de Locht ? Quelle fut sa vision. Pourquoi ne fut-il pas écouté et mis au ban en 1973 ?

Il fut beaucoup écouté par les chrétiens. Il était d’avis que c’est à ces derniers de décider de leur sexualité et prévoyait les dangers que courrait l’Église à être autoritaire dans ce domaine. Il a eu parfaitement raison puisque l’encyclique Humanae Vitae (1968) provoque une remise en question profonde de l’autorité cléricale par les catholiques. À cet égard, de Locht se montre prophétique, et comme tous les prophètes, il dérange. Mais la véritable rupture entre lui et l’Église a lieu lorsqu’il soutient le mouvement belge de dépénalisation de l’avortement (ce qui ne veut pas dire qu’il est pour l’avortement, c’est très différent).

Dans les années soixante, l’Occident est transformé par la révolution sexuelle. La sexualité devient un élément constitutif important au sein des couples. Même si Jean XXIII dit que l’acte sexuel peut renforcer l’amour, l’Église refuse de revoir sa conception de la sexualité. Celle-ci doit se vivre au sein d’un couple marié pour donner naissance à des enfants et toute contraception est refusée à l’exception de la continence.

En effet, sur cette question, le discours de l’Église ne change absolument pas.

Porteurs d’une telle vision, les croyants ne peuvent que s’éloigner des prêtres. Cette vision de la sexualité participe-t-elle au fait que les églises se vident et que l’Occident se déchristianise ?

Tout dépend de ce qu’on appelle l’Occident. Les États-Unis ne se déchristianisent pas. L’Europe de l’Est et la Russie non plus. En Europe de l’Ouest, on assiste plutôt à une reconfiguration du croire. Les individus restent attachés à de nombreux aspects du catholicisme, mais reconnaissent de moins en moins l’autorité de l’Église. L’adhésion devient « conditionnelle » en quelque sorte. Vous pouvez trouver des individus qui se disent catholiques et pratiquent en partie les sacrements, mais estiment que le clergé n’a rien à leur dire sur ce qu’ils font dans leur chambre à coucher. Pour revenir à votre question, en effet en Europe de l’Ouest, la vision de l’Église sur la sexualité participe au fait que les églises se vident.

C’est Jean-Paul II qui va légèrement changer les choses ?

Jean-Paul II est un excellent communicant. Il ne change rien à la doctrine, mais il invente la « théologie du corps », qui consiste à donner une dimension presque mystique au rapprochement charnel entre époux. Cela étant, ces derniers ne sont pas autorisés à avoir des relations sexuelles hors de l’acte reproducteur.

Malgré son style plus décontracté, le pape actuel François reste très traditionnel.

Sur les questions de sexualité et de genre, il reste dans la ligne de ses prédécesseurs.

Aujourd’hui encore l’église refuse la masturbation, la contraception hors mariage, condamne l’homosexualité… Pourquoi ?

Elle refuse la contraception dans le mariage également. Les autorités cléricales estiment qu’elles n’ont pas le droit de modifier une tradition séculaire. Elles craignent qu’en lâchant du leste ce soit tout l’édifice qui soit menacé de s’écrouler. Par exemple, reconnaître l’égalité entre les hommes et les femmes, c’est enlever le seul obstacle qui s’oppose à l’ordination des femmes. L’Église ne reconnaît pas l’égalité des deux sexes mais l’équité des hommes et des femmes. Cette notion d’équité est très complexe car elle affirme une non-équivalence par nature des deux sexes – les hommes sont différents des femmes- mais défend l’égalité de droits. Cependant cette égalité est très relative car l’Église refuse l’ordination des prêtres. Par ailleurs, garder la ligne traditionnelle est une stratégie politique qui a du sens. Dans de nombreux pays, le discours conservateur de l’Église plaît et beaucoup de groupes et individus y adhèrent.

Vous signez La Sainte Famille avec un ensemble de collaborateurs. Pourquoi cet ouvrage aujourd’hui ?

Cette année, nous fêtons les cinquante ans de Mai 68. En juillet, nous commémorerons les cinquante ans de l’encyclique Humanae Vitae. C’est l’occasion d’examiner ce que les normes religieuses ont pu avoir comme conséquences sur les représentations du genre, de la sexualité et de la famille sur un demi-siècle qu’on proclame un peu vite marqué par la « Révolution sexuelle ».

Votre ouvrage rassemble les points de vue de différentes disciplines, science des religions, criminologie et sociologie. Cette pluralité de regards est-elle unique ? Est-ce là un des points forts de cet ouvrage ?

Les problèmes que couvre ce livre sont complexes et exigent des regards et des méthodes croisés. Sa force est d’offrir une vision historique des faits. Ainsi, il est utile à l’heure où l’Église promeut un modèle très figé de la famille de rappeler que la Sainte Famille (le père, la mère et l’enfant) est une dévotion qui apparaît fin du XIXe siècle. Avant cela, la famille recouvre des réalités beaucoup plus larges pour l’Église. Les ordres religieux, par exemple, se voient comme des familles. Longtemps, l’iconographie dite de la Sainte Famille, pour sa part, n’a pas grand-chose à voir avec la trilogie que l’on connaît au XXe siècle. Tous ces aspects sont intéressants à examiner également du point de vue de la sociologie de la famille ou de l’engagement. À chaque époque de l’histoire, les militants catholiques s’engagent selon des modalités qu’il est intéressant d’analyser. Les dimensions oscillent entre le local et l’international, comme dans le mouvement « anti-genre » aujourd’hui, qui connaît une circulation à la fois locale et transnationale.

La Sainte Famille_cover
La Sainte Famille, sexualité, filiation et parentalité dans l’Église catholique, édité par l’Université de Bruxelles, 244 p., 19 euros

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