Le vrai Christophe par la dernière femme de sa vie

Vous avez partagé les deux dernières années de la vie de Christophe. Dans quelles circonstances l’avez-vous connu ? Mon fils, Mattéo, l’avait rencontré pour travailler sur la musique d’un projet de film autour de la poésie. Un soir, il lui montre ma photo et aussitôt, il demande à me rencontrer. Il nous a invités à l’un de ses concerts à la Philharmonie et, ensuite, nous l’avons rejoint dans sa loge. Il y avait une foule autour de lui, mais quand il m’a vue, il m’a immédiatement demandé de m’asseoir à côté de lui. Quelques jours plus tard, il est venu dîner chez moi et, avant de repartir, il a demandé à mon fils l’autorisation de m’inviter à son tour à dîner. À une table discrète d’un restaurant où il avait ses habitudes, il m’a confié qu’il avait le sentiment d’être vieux et que je serais la dernière femme de sa vie. C’est ainsi qu’il a commencé à m’ouvrir sa porte et son cœur. Vous avez très vite réalisé que vous n’étiez pas la seule femme de sa vie. Il adorait les femmes. Il était un amoureux fou qui rêvait de les goûter toutes. Les filles qui l’entouraient connaissaient le mode d’emploi. Il était infidèle, certes, mais toujours très présent, même quand l’histoire était terminée. Il ne voulait pas faire de mal car il était profondément gentil. Quand il avait donné son amour, c’était pour toujours. Si une ex traversait une période difficile, il répondait présent pour l’aider moralement et financièrement. Pour lui, l’argent n’avait guère d’importance. Il dépensait sans compter. Il invitait tout le monde à dîner, et lorsqu’il s’apercevait qu’il vous manquait quelque chose, il l’achetait et vous l’offrait sans même vous demander votre avis. Il a aussi beaucoup claqué, au poker mais aussi en collectionnant des voitures qu’il conduisait parfois à 200 à l’heure. Un soir, un contrôle de police sur les Champs-Élysées a mal tourné. Il s’est retrouvé en garde à vue et a écopé de deux ans de suspension de permis. À partir de ce jour, il n’a plus touché à un volant et s’est exclusivement déplacé en taxi. Cette folie des voitures et de la vitesse, il la devait à sa mère. Elle adorait les voitures, mais aussi les histoires d’amour et la chanson. Christophe, qui l’admirait et l’adorait, a hérité de ses passions. Quand vous l’avez rencontré, il vivait dans un appartement du quartier de Montparnasse, où vous êtes allée presque tous les soirs. Je travaillais à la caisse d’un cinéma, et dès la fin de mon service, j’allais le retrouver dans ce troisième étage d’un immeuble ancien, au milieu d’un incroyable bric-à-brac. Il était tellement attaché aux objets qu’il était incapable d’en jeter un seul. Il y avait également des huiles essentielles, à base d’eucalyptus, qui parfumaient la pièce en permanence. Cette odeur est encore très présente dans ma mémoire. Vous avez vécu les mois de travail qu’il consacrait à la composition d’une mélodie. Il écoutait tous les sons autour de lui, du chant d’un oiseau à une goutte d’eau tombant dans un lavabo. Il les enregistrait pour les inclure dans une mélodie. Il avait sa palette comme le peintre devant sa toile ! La création était pour lui un plaisir sensuel. Il avait découvert l’importance des sons à 12 ans, en entrant dans la lessiveuse familiale et en tapant dessus comme s’il s’agissait d’une grosse caisse ! Il avait installé son studio dans le salon et quand il terminait une maquette, il la testait en la faisant entendre à celles et ceux qui passaient chez lui. Il avait besoin de leur avis, car il doutait de tout et, en particulier, de lui-même. Il vous a un jour proposé de travailler avec lui. Il avait signé un contrat pour ses Mémoires en demandant, en guise d’à-valoir, un juke-box très rare dont il rêvait. Il l’a obtenu, mais le problème, c’est qu’ensuite il n’a pas écrit une seule ligne. La date de sortie prévue a été annulée et, pour rattraper le coup, il m’a demandé de l’interviewer et de mettre en forme ses propos. J’ai réalisé quelques entretiens mais la personne qui avait initié le projet ayant quitté la société, ça n’a jamais été plus loin. Il a écrit des mots que vous conservez précieusement : des textos d’amour. Quand je rentrais chez moi, il m’en envoyait pendant toute la nuit. Ses mots étaient magnifiques. Ça aurait pu faire de très belles chansons. La seule période où il vivait le jour, c’était pendant les mois d’été. Je l’ai rejoint à Port Grimaud, où il possédait un petit voilier. Nous quittions le port pour passer des journées au large et profiter du soleil de la Côte d’Azur, qu’il adorait. Il était très attaché à ses premiers succès, à commencer par « Aline ». Il était très fier de cette chanson et n’a jamais donné un concert sans l’inscrire à son répertoire. Il y a toutes sortes de légendes sur l’existence d’Aline. On a dit qu’elle avait été sa première fiancée, mais aussi l’assistante d’un dentiste devant laquelle il avait crié lorsqu’on lui soignait une carie. Cela l’amusait beaucoup et il ne démentait jamais. Il m’a un soir confié qu’elle avait existé, mais sans aller plus loin dans la confidence. En revanche, il m’a dit qu’Alexa, la pauvrette des « Marionnettes », était une jeune femme ravissante, assistante dans sa maison de disques. Il a appris qu’elle s’était suicidée, et cela l’avait tellement marqué qu’il a voulu lui rendre hommage, à sa façon. Il a composé jusqu’au bout. Je l’ai vu travailler pendant des mois sur la musique d’un film, avec un metteur en scène. Il adorait le cinéma et a même songé à devenir acteur. L’idée de se lever à 6 heures du matin et d’être dirigé par quelqu’un l’a fait renoncer à ce projet. Il tenait par-dessus tout à sa liberté. Le Covid qui l’a frappé aurait pu ne pas être mortel… Quand il a commencé à tousser, il a mis cela sur le compte d’un emphysème dont il souffrait depuis des années. Il s’est enfermé chez lui avec des antibiotiques, avant d’accepter d’ouvrir sa porte à quelques personnes qui l’ont aussitôt envoyé à l’hôpital. C’était hélas trop tard. Si les médecins étaient intervenus plus tôt, aurait-il pu être sauvé ? Nous ne le saurons jamais. [scald=29109558:sdl_editor_representation] « Christophe intime », par Bénédicte La Capria, éd. Albin Michel, 192 p., 18 euros.

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