Une femme à l’abordage!

Voici une héroïne intrépide, ennemie jurée du roi de France durant la guerre de Cent ans, qui prend la mer par amour et qui s’impose dans un bastion masculin. La romancière Mireille Calmel, connue pour avoir popularisé Aliénor d’Aquitaine, n’a pas résisté à ce fabuleux destin. Une guerrière, une amoureuse, une pirate : on connaît mal le destin de Jeanne de Belleville ! J’ai « rencontré » Jeanne en 2005 quand j’ai écrit un petit roman sur elle, et elle me hante depuis ce moment. Première femme pirate alors qu’elle est forgée par et pour les hommes. C’est justement cette contrainte masculine qui l’amène à une vengeance, une émancipation menée avec violence. Par amour car elle a perdu son compagnon. Et au nom de l’honneur. Cette dimension de femme désespérée, qui prend alors les armes, m’a beaucoup plu. Elle veut faire justice. « Elle a brisé les codes » Les pirates pour le grand public, c’est « Angélique marquise des anges » ou « Pirates des Caraïbes ». Déjà au XIVe siècle, elle prouve que les femmes peuvent s’aventurer dans tous les domaines. Avant elle, on a connu Aliénor d’Aquitaine, reine d’Angleterre et maîtresse-femme. Certaines femmes ont ainsi marqué leur temps et Jeanne de Belleville, « la Tigresse bretonne », en fait partie. On dirait aujourd’hui qu’elle a brisé les codes. Nous sommes entre 1300 et 1359, ne l’oublions pas. Un élément plaisant du livre renvoie à la marine à voile : une bonne trame ? C’est un univers fascinant et particulier. Sur un coup de colère, l’époux de Jeanne de Belleville, Olivier de Clisson, incendie les navires de la flotte française dans le port de Nantes. Elle a appris à naviguer avec lui, au-delà des côtes. Elle a le pied marin. Cette dimension épique des combats navals n’atteint cependant pas l’intensité des batailles du XVIIIe siècle avec l’avènement de la grande piraterie, des corsaires, sur des bateaux plus manœuvrables. Jeanne de Belleville signe les débuts de la piraterie, ce qui en fait une grande figure. « Une insoumise sur le pont » Le roman historique se féminise avec des auteures comme Jacqueline Monsigny, Juliette Benzoni, Jeanne Bourin, et vous qui soutenez cette évolution. Avant, on citait Max Gallo, Alain Decaux, Christian Jacq… C’est vrai, nous sommes maintenant quelques-unes à prendre le relais. Mais le roman historique reste encore le parent pauvre de la littérature par rapport au polar ou au thriller. Quelqu’un m’a un jour apostrophée sur le thème : « Mais comment peux-tu décrire les sentiments des gens de cette époque ? Comment peux-tu imaginer ce qu’elle ressentait lors d’un assaut ? » Mais aujourd’hui comme hier, on connaît les mêmes peurs et le cœur palpite de la même façon. L’émotion ne change pas. Ce qui change, ce sont les costumes, les mœurs ; l’être humain reste. Ce n’est pas si difficile de se projeter. Le lecteur, ici, est dépaysé par l’action et la personnalité de Jeanne. Il peut très vite s’identifier. En fait, le roman historique est accessible. Il ne faut pas être féru d’Histoire pour s’y plonger. Elle pourrait passer à l’écran ? Jeanne pourrait faire l’objet d’un film ou d’une série, j’adorerais. Son personnage s’y prête. Mais ce serait cher vu la multiplicité des décors. On a peu écrit sur elle, à peine quelques essais, et peu tourné. C’est dommage car c’est un personnage époustouflant. C’est une insoumise qui monte sur le pont. Des femmes de cette trempe doivent avoir un tempérament suffisamment fort pour vaincre les diktats des hommes. Attention aussi de ne pas réduire le Moyen Âge à un univers masculin. Les hommes étaient souvent en guerre. Les femmes tenaient les châteaux. L’Histoire les a oubliées, écrasées. Quelques-unes sont sorties du lot, comme Jeanne d’Arc évidemment. Jeanne de Belleville montait en première ligne et luttait au quotidien, sur terre et sur mer. [scald=29209882:sdl_editor_representation] « D’écume et de sang », par Mireille Calmel, XO éd., 363 p., 19,90 €. Lire aussi la première BD consacrée à Aliénor d’Aquitaine, « Le lit d’Aliénor », par Mireille Calmel et Pierre Legein, XO éd., 52 p., 14,90 €.

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