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Un historien remet en question les origines de la cuisine italienne

Les recettes phares de la gastronomie italienne seraient basées sur des légendes, selon Alberto Grandi.

Temps de lecture: 4 min

Un article du « Financial Times » fait grand bruit en Italie. Son auteur, l’historien culinaire Alberto Grandi, détruit les mythes de nombreuses recettes phares de la gastronomie transalpine, en expliquant qu’elles proviendraient de légendes, grandement romancées ou complètement inventées. Ainsi, il dézingue l’histoire de la pizza, du tiramisu, de la carbonara, du parmesan ou encore du panettone. Bien qu’il ne remette pas en question le raffinement et la qualité de ces mets, il interroge les fondements historiques et les origines dites « officielles » qui justifient la rigueur de ces recettes. L’erreur dans la confection de ces repas est parfois jugée comme impardonnable. En réalité, l’historien revient sur la naissance de ces assiettes, et commettre une faute n’est peut-être pas si inexcusable que ça.

Des inventions américaines et commerciales

Cela fait quelques années que l’expert culinaire et professeur à l’université de Parme déconstruit les mythes autour de la cuisine italienne. Dans son livre paru en 2018, « Denominazione di origine inventata » (NDLR : « Dénomination d’origine inventée »), et dans son podcast éponyme, l’historien n’y va pas de main morte. Pour lui, la carbonara est inventée par les Américains, tout comme les pizzas, le panettone et le tiramisu sont des créations commerciales, et le parmesan originel n’a rien à voir avec celui qu’on trouve dans nos rayons aujourd’hui.

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La carbonara de Chicago ?

Réaliser une carbonara parfaite relève de l’exploit. Les quatre ingrédients qui la composent, œuf, pecorino romano, guanciale (joue de porc) et poivre, doivent être sélectionnés dans le plus grand respect des règles traditionnelles. Aucun produit de substitution ne peut être utilisé, et rajouter de la crème relève du sacrilège. Mais pour Alberto Grandi, à l’origine, les recettes auraient été beaucoup plus nombreuses, et certaines contiendraient même du jambon ou des champignons. La plus ancienne recette retrouvée daterait de 1952, en provenance de Chicago, et les Italiens n’auraient pas entendu parler de cette sauce avant la Seconde Guerre Mondiale. D’ailleurs, cette première recette privilégiait plutôt la pancetta, alors que la guanciale n’est entrée dans les assiettes que dans les années 90. La première fois qu’un chef italien a réalisé ce plat, c’était en 1944 à Riccione, pour alimenter des soldats réquisitionnés dans la région. « Les Américains avaient du merveilleux bacon, une bonne crème fraîche, un peu de fromage et des jaunes d’œuf en poudre », écrit l’historien Luca Cesari dans son livre « Storia della pasta in 10 piatti ».

La pizza, timide en Italie jusque dans les années 70

L’emblème de la gastronomie italienne a également été soumis à l’analyse de l’historien. Pour lui, les cercles de pâtes jonchés de divers ingrédients étaient largement répandus dans le pourtour méditerranéen. Avant la Deuxième Guerre Mondiale, seules quelques villes du sud du pays proposaient des pizzas. Il s’agissait d’un plat modeste, encore discret jusque dans les années 70. En 1911, la première vraie « pizzeria » ouvre ses portes à New York. Cela ne signifie pas qu’elle n’existait pas en Italie avant cette date, mais seulement qu’elle n’était pas commercialisée comme elle peut l’être aujourd’hui.

Tiramisu et panettone aux origines industrielles

Dans les années 80, la première recette du tiramisu fait son apparition dans les livres de cuisine. Le mascarpone, son ingrédient principal, est d’ailleurs presque introuvable hors de Milan dans les années 60. Les « Pavesini » qui accompagnent le café n’ont été commercialisés qu’en 1948. Le panettone dans la forme qu’on lui connaît aujourd’hui serait d’origine industrielle et les amateurs le devraient à l’entrepreneur Angelo Motta, dans les années 1920. Sa préparation artisanale aurait donc été inventée plus récemment. D’ailleurs, il n’en avait aucun lien avec Noël.

Le parmesan et le Wisconsin

La forme actuelle du parmesan et sa recette sont également interrogées : « Son histoire est très lointaine, millénaire, mais avant les années 1960, les meules ne pesaient pas plus de 10 kilos, contre une quarantaine de nos jours, et étaient recouvertes d’une épaisse croûte noire. Sa consistance était aussi plus grasse et moelleuse. Ce qui ressemble le plus au format d’origine ? Le parmesan du Wisconsin », explique l’historien. L’explication est simple : les immigrés italiens originaires de Pô et de Parme auraient commencé sa production au début du XXe siècle en outre-Atlantique, et son mode de préparation n’a jamais évolué, contrairement à la préparation italienne.

Alberto Grandi tranche donc, et tant pis s’il crée une polémique : « La cuisine italienne est résolument plus américaine qu’italienne ». Alors que le gouvernement italien de Giorgia Meloni vient de déposer sa candidature pour une reconnaissance officielle de sa tradition culinaire à l’Unesco, la planète gastronomique italienne tremble en lisant l’article du « Financial Times ».

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