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Léon Degrelle: le crépuscule d’un traître

Décédé il y a 30 ans, Léon Degrelle reste comme une tache noire sur l’histoire de Belgique.

Journaliste Temps de lecture: 7 min

Le 31 mars 1994, Léon Degrelle mourait à Malaga à 87 ans. Le chef de Rex fut incinéré le lendemain et ses cendres furent ensuite dispersées en Belgique par un ancien capitaine de la SS Wallonie. Ainsi s’achevait la tragique odyssée de Léon Joseph Marie Ignace Degrelle, né à Bouillon le 15 juin 1906, qui pensa un moment devenir Führer dans son pays.

Le souvenir de Degrelle continue de gêner la Belgique dans son entreprise visant à solder toute culpabilité issue de la collaboration. Car il a réellement séduit, enflammé et rallié une partie de ses compatriotes au service de l’Allemagne nazie. Il traîne un lourd passif. Son ambition délirante, son parti pris idéologique, son ascension certes contrariée en font un personnage noir de la Seconde Guerre mondiale au sein de la Belgique occupée.

Il rêvait d’un destin exceptionnel

Sa fin tranche fortement avec ce qu’il attendait d’un destin exceptionnel. Il est condamné à mort par fusillade le 27 décembre 1944 par le Conseil de guerre à Bruxelles. Par contumace, car il s’est enfui outre-Rhin, « fugitif et latitant » (cherchant à se dissimuler pour échapper à ses poursuivants, ndlr). La condamnation du « Volksführer der Wallonen » suscite peu d’intérêt. Car il a perdu de sa superbe. Il est convaincu d’intelligence avec l’ennemi. Dans un bon résumé de ses chefs d’inculpation, Alain Colignon et Chantal Kesteloot dressent l’inventaire de ses méfaits pour le Cegesoma (Centre d’études guerre et société, archives de l’État). Degrelle a pris les armes contre la Belgique. Créé la Légion belge de Wallonie. A été décoré par Hitler en août 1944. A soutenu la politique d’annexion du Reich dans ses écrits publiés dans « Le Pays réel » (car il est d’abord journaliste) et dans ses meetings. Il a conclu un accord avec le VNV de Staf de Clercq pour se « partager » la Belgique. On lui reproche d’avoir préparé la guerre civile, d’avoir levé ou fait lever des troupes, d’avoir pris la tête de bandes armées, des milices prêtant secours à l’occupant, notamment les Gardes wallonnes. Sombre bilan, accablant pour celui qui rêve le monde en termes de domination martiale.

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Son procès se déroule alors que Degrelle est brièvement de retour sur le flanc de la Belgique pour soutenir l’offensive von Rundstedt dans les Ardennes. Il a mal évalué la percée allemande bloquée par la Résistance et les Américains. Il préconise l’annexion de la Wallonie et de la Flandre au Reich. Il projette même la formation d’un gouvernement dans « Bruxelles libérée », le gouvernement de Limerlé, où ses troupes restent piteusement coincées dans le Luxembourg. Le sort en est jeté. En mai 1945, il se trouve au Danemark puis passe en Norvège. Fuyant la défaite, il prend place dans un avion allemand vers l’Espagne, qui s’écrase sur une plage de San Sebastián ! Il en ressort gravement blessé. L’Espagne franquiste va lui servir de refuge pour se refaire une nouvelle vie.

Il mourra… espagnol

En 1954, il acquiert la nationalité espagnole. Il se remarie. Travaille dans une entreprise de travaux publics. Et surtout, il écrit pour justifier ses actes, en déformant la vérité. Il se fait plus grand qu’il n’est en réalité. Certains nostalgiques viennent le voir dans sa retraite. Stéphane Steeman sème le trouble en faisant le déplacement, ce qui ne manque pas de susciter la polémique à Bruxelles autour de l’humoriste, mais aussi des élus du Front national, proches de la famille Le Pen, rappelle le site Slate.fr. Il reste infréquentable, banni, comme un sujet dont on n’aime guère parler, dont la Belgique n’est pas fière. On regarde son passé avec des pincettes en se demandant comment cet homme put à ce point galvaniser une partie de nos compatriotes avec ses diatribes fascisantes, finalement assez primaires.

Degrelle a rencontré le dictateur nazi Adolf Hitler à plusieurs reprises, comme ici en 1944, après la sanglante bataille de Tcherkassy.
Degrelle a rencontré le dictateur nazi Adolf Hitler à plusieurs reprises, comme ici en 1944, après la sanglante bataille de Tcherkassy. - BelgaImage

Degrelle figure dans le camp des vaincus. Il n’a jamais été rattrapé par son passé. Il a d’abord usé de quelques fausses identités en Espagne. Des tentatives d’enlèvement ont eu lieu sans succès. Les gouvernements belges ont formulé plusieurs demandes d’extradition, « timorées » jugent les historiens, comme s’il dérangeait ou pourrait menacer la paix civile par des déclarations invérifiables. Mais sa famille a été condamnée : femme, parents, frère assassiné par les résistants à la fin du conflit. L’État, devenu partie civile, a saisi ses propriétés, sa collection d’antiquités et de cartes géographiques historiques. Car Degrelle, du temps de sa « gloire », vivait sur un grand pied, comme l’atteste sa propriété dans un grand parc du 21, drève de Lorraine à Uccle, en bordure de la forêt de Soignes, qu’on peut encore apercevoir quand on se dirige vers Waterloo. Il ne sera pas inquiété dans sa retraite au soleil…

Bravache, impulsif, antisémite

Comment comprendre l’aura néfaste du personnage ? « En puisant dans ses racines », répond l’historien bruxellois Arnaud de la Croix, auteur d’une biographie sur Degrelle. Né à Bouillon, passé par les jésuites, farouche opposant au communisme, le jeune Degrelle admire l’Action française de Charles Maurras. Son père, brasseur, est député. En 1930, il fonde la maison d’édition « Christus Rex ». Il s’engage dès 1933. Il collabore au quotidien « Le XXe Siècle », catholique, de droite, où Hergé entame les aventures de Tintin dans « Le petit XXe  ». Son profil psychologique ? Bravache, impulsif, antisémite, négationniste (un « bobard », dit-il), tribun (il invente le mot « banksters » pour fustiger le grand capital dans un mélange indigeste de socialisme et de fascisme) et bientôt soutien inconditionnel de son héros et modèle, Adolf Hitler.

Le 2 avril 1944, le SS-Hauptsturmführer Léon Degrelle défile dans Bruxelles avec ses enfants, après la bataille de Tcherkassy où s’est illustrée la Légion Wallonie au sein de la Waffen SS.
Le 2 avril 1944, le SS-Hauptsturmführer Léon Degrelle défile dans Bruxelles avec ses enfants, après la bataille de Tcherkassy où s’est illustrée la Légion Wallonie au sein de la Waffen SS. - BelgaImage

Il lance Rex à l’assaut du pouvoir, est soutenu financièrement par le Duce. En août 1936, il rencontre le Führer, puis Goebbels qui lui promet « du papier pour ses journaux ». Degrelle adopte le même mode opératoire que tous les populistes d’hier et d’aujourd’hui, adepte des coups de force, fustigeant les scandales inventés ou pas. Mais son armature politique semble pauvre. Léopold III, à qui il vient réclamer le poste de ministre de la Justice après les élections de mai 1936 qui voient Rex décrocher 21 députés et 8 sénateurs, le juge « suffisant et insuffisant ». Il pratique la surenchère. Il menace la classe politique : « Nous en avons assez de ces salauds, des aventuriers et des pourris. Ils s’en iront tous. » Promet une « marche sur Bruxelles », inspirée de la « marche sur Rome » en annonçant 200.000 Rexistes ; il en vient 2.000 !

Il commence à déranger

En 1934, Mgr Picard donne déjà son avis : « Impulsif, il est, dans un moment de trouble social, capable des pires imprudences. » Jugement étayé par l’historien Francis Balace ; Degrelle s’exprime : « Quand je serai au pouvoir, je régnerai par la terreur ; des têtes rouleront… Mussolini m’approuve, Hitler veut me donner de l’argent. Avec mes vingt députés, je rendrai la vie gouvernementale impossible en provoquant des cascades de démissions… » Le style est brutal, les rodomontades permanentes. Rex ne cesse de monter… puis se met à dégringoler. Fin de parcours ? Non, car la guerre va tout changer. En mai 40, Degrelle est arrêté à Abbeville, manque d’être fusillé avant d’être libéré fin juillet. Il rentre à Bruxelles. Grisé par le vent de l’Histoire qu’il croit favorable, il révèle son vrai visage. Avec Hitler, « les fluides passent. Il aurait aimé avoir un fils comme moi. » En avril 44, pour son anniversaire, il réitère sa totale allégeance : « Führer, de toutes les terres d’Europe, se lèvent vers vous des yeux qui vous disent : “Nous vous aimons, nous vous suivons, vous avez nos forces et nos vies, à travers tout, nous serons des soldats.” Heil Hitler ! »

Et pourtant, les Allemands se méfieront toujours de lui, craignant ses foucades comme un signe de faiblesse. En avril 1944, il vit sa dernière grande sortie, juché sur un char avec femme et enfants pendant un défilé à Bruxelles. Ses hommes de la 28e division SS Wallonien se sont battus sur le front de l’Est. Il s’affiche dans son uniforme SS le front haut. Ensuite viennent la débâcle, la chute d’un intrigant qui subjugua pourtant certains Bruxellois et Wallons, rêvant d’être reconnu à Berlin, dont le nom provoque encore un profond malaise.

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