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À Madrid, le «rituel de la mort du taureau» célébré et contesté

La feria de San Isidro dure jusqu’à la mi-juin. Et la tauromachie y joue une place centrale. Reportage en Espagne, là où les critiques montent, là où la tradition perdure.

Temps de lecture: 4 min

Quand le « toro » s’effondre face au matador, le silence se fait dans les arènes de Madrid. Leur patron français, Simon Casas, défend fougueusement « le rituel de la mort du taureau », toujours plus contesté en Espagne. Pour la feria de San Isidro qui dure jusqu’au 16 juin, près de 500.0000 « aficionados » doivent passer par la Plaza de Las Ventas, « la cathédrale de la tauromachie mondiale » selon « Don Simon », premier Français à la diriger. Mais la politique s’en mêle plus que jamais.

La maire de gauche sortante de Madrid a promis avant les élections municipales de dimanche des corridas « sans sang ni mort ». La droite et l’extrême droite défendent au contraire une « tradition » qu’elles associent à « l’identité » espagnole et avaient enrôlé trois toreros lors des législatives d’avril.

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« Je ne connais personne qui aime plus le taureau de combat que le torero », préfère affirmer Casas, 71 ans, en faisant visiter à l’AFP les arènes bâties en 1929. Il « n’est jamais un ennemi pour le torero mais un partenaire glorifié ». Dans le corral, des connaisseurs jaugent les « taureaux de combat » élevés dans ce but et pesant parfois plus de 600 kilos. Volontiers provocateur, Casas ajoute : « Si je devais être un animal, ce n’est pas un chaton ni un toutou que je voudrais être mais un taureau de combat ! Je périrais certes mais (…) je ferais de mon destin une gloire  ! ».

Bloc opératoire et abattoir

Puisant gravement des petits papiers dans un chapeau, les représentants des toreros tirent au sort le mastodonte qu’affrontera chaque matador. « Ça se fait comme ça depuis le 19e siècle », glisse Casas. Dans son bureau, tableaux et photographies rendent hommage aux toreros tués par des taureaux : Joselito en 1920, Manolete en 1947… Aujourd’hui encore, avant la corrida, rares sont les matadors qui ne passent pas prier dans la chapelle des arènes. Tout près se trouvent les deux blocs opératoires où les toreros encornés sont pris en charge.

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Le taureau, lui, devra mourir – sauf en cas de grâce, extrêmement rare – « parce qu’il faut aller jusqu’au bout des choses sinon ça devient une représentation et non un rituel », plaide Casas. La corrida avec mise à mort reste légale en Espagne, dans une partie de la France, au Mexique, en Colombie, au Pérou, au Venezuela et dans une partie de l’Équateur. Au Portugal et dans une autre partie de l’Équateur, tuer le taureau dans l’arène est interdit même s’il est abattu ensuite.

« Il l’a mal tué »

Ce jour de mai, « Las Ventas » sont exceptionnellement pleines de près de 24.000 personnes. Et les « Vive l’Espagne » fusent quand l’ancien roi Juan Carlos 1er rejoint le public. Une fois le taureau affaibli et saigné par piques et banderilles, les trompettes annoncent l’entrée du matador qui a dix minutes pour l’achever. « Olé  ! ». « Bien  ! ». Il est acclamé quand il parvient à faire tourner longuement autour de lui l’animal en se tenant tout près de ses cornes et en contrôlant ses charges avec grâce.

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Soudain des milliers de mouchoirs blancs sont agités : « Un taureau était très ‘bravo’ (combatif), il a été tué d’un coup, le public réclame une oreille » pour le matador, explique dans le public Antonio Mercader, économiste de 54 ans. Un autre est sifflé quand « le taureau souffre trop », commente son épouse, Paqui Fernandez, qui grimace : « Il l’a mal tué ».

Renoncer à « l’art de tuer ? »

Manifestant pour « l’abolition de la tauromachie », les militants anti-corridas estiment qu’environ 200 taureaux seront tués pendant la feria de San Isidro. Des milliers toute l’année en Espagne. Associant la corrida au « spectacle de la cruauté », le romancier Manuel Rivas a publié une tribune demandant de renoncer à « l’art de tuer ».

La corrida – déclarée « patrimoine culturel » du pays dans une loi de 2013 – apparaît cependant intouchable. Son interdiction en Catalogne en 2010 a ainsi été annulée par la Cour constitutionnelle. Mais dans les faits, les corridas ne sont plus organisées dans cette région ni aux Baléares et aux Canaries et les statistiques reflètent leur déclin dans le pays, de 810 en 2008 à 369 en 2018.

« Ne laisse pas la tauromachie à poil », rétorquent Las Ventas sur l’affiche de la San Isidro, où apparaît la fesse nue d’un torero sous son pantalon déchiré. L’image a plu à Eladio Galan, pharmacien de 25 ans, féru de tauromachie mais qui se demande si elle existera encore « dans trente ans ». « J’ai des amis indifférents, d’autres qui me disent  : ‘Tu es sans cœur’ ».

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