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« L’agression sexuelle d’un enfant matérialise le pouvoir paternel »

Les violences sexuelles sur les enfants sont fréquentes. Elles sont liées à la domination patriarcale, selon Patric Jean qui publie un livre choc « La loi des pères ». Interview de l’auteur.

Journaliste Temps de lecture: 7 min

Entre 3 et 6 % de la population française ont subi un délit ou un crime sexuel dans leur enfance ou leur adolescence, selon une étude de 2015 menée par l’Institut national des études démographiques. En Belgique, les pourcentages sont vraisemblablement les mêmes, même si certaines études vont jusqu’à 8 %. La majorité de ces drames sont commis dans le cadre familial ou l’entourage proche.

Les chiffres donnent le tournis qui de surcroît ne diminuent pas au fil des ans. Hier comme aujourd’hui, les enfants – 2 sur 3 sont des filles – sont encore et toujours sexuellement agressés. Trop souvent, trop silencieusement. Sans que leurs souffrances ne soient réellement entendues puisque 70 % des affaires sont classées sans suite.

Dans un livre choc, « La loi des pères », résultat de plus de dix années de recherches, Patric Jean rassemble des témoignages poignants de ces souffrances sexuelles enfantines, rassemble des chiffres édifiants, résume maintes études faites sur le sujet et surtout analyse le pourquoi du comment de cette situation en faisant appel à l’anthropologie et l’histoire. L’auteur qui nous a déjà offert des films et ouvrages sur la domination masculine comme la prison et la pauvreté, met encore en lumière l’aveuglement de la justice et de la société face à l’inceste et à la pédophilie. Son ouvrage est aussi documenté qu’édifiant même s’il est effrayant.

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Agence Rea

Vous commencez votre ouvrage par l’histoire poignante de la petite Julie et vous nous donnerez 6 autres témoignages effrayants d’enfants abusés.

Ces témoignages suivent quasiment tous le même scénario. Un couple se sépare et l’enfant subit des violences sexuelles quand il va chez son père ; il faut savoir que dans 98 %, l’agresseur est un homme ; le père est l’agresseur le plus fréquent dans le cadre familial. À la crèche ou l’école, les enfants parlent et les soignantes ou les professeurs constatent qu’ils ont des troubles, des comportements hypersexualisés surprenants ou même des lésions physiques. Ils alertent les médecins, font un rapport, préviennent la mère. Un dossier est déposé, porté parfois par 6 signalements différents. Mais la justice classe l’affaire considérant que les preuves ne sont pas probantes. Certains vont jusqu’à dire que l’enfant s’est fait lui-même les lésions pour faire plaisir à sa mère. Celle-ci est incriminée et considérée comme aliénante. Ce serait elle qui a mis tout cela dans la tête de l’enfant. C’est le fameux « SAP », « syndrome d’aliénation parentale » qui est aussi flou que non scientifique. Il a été inventé par Richard A. Gardner. Selon ce psychiatre et psychanalyste américain, les propos tenus par l‘enfant sont les produits des désirs de vengeance de mères manipulatrices. Et toujours selon ce même Gardner, pas moins de 90 % des enfants qui dénoncent une agression sexuelle masculine souffrent du « SAP » de leur mère. La théorie de Gardner qui n’a jamais été publiée dans aucune revue scientifique, a convaincu des magistrats américains avant d’arriver en Europe. Certains magistrats le prennent en considération quand d’autres le dénoncent. Mais comme la justice manque de moyens financiers, faire appel à ce SAP est très pratique alors qu’écouter les enfants abusés est long – une cinquantaine d’heures – et coûteux. Il faudrait aussi multiplier par 20 le nombre de cellules pour emprisonner les agresseurs.

Ce syndrome SAP qui entend désigner une manipulation des mères n’existe pas ?

Ce qui peut exister, c’est le phénomène d’emprise de l’emprise sur l’enfant. Mais il se traite facilement et il n’engendre pas des inventions à caractère sexuel.

Ces violences sexuelles sur les enfants ne sont pas forcément le fait de pédophiles.

C’est exact. Les pères qui agressent sexuellement leur enfant ne sont pas forcément des pédophiles. Il faut savoir qu’1 % de la population a des désirs sexuels pédophiles sans pour cela passer à l’acte. Ces pères agresseurs affirment en fait leur droit archaïque à posséder le corps de leur enfant. Cela explique d’ailleurs pourquoi ces incestes se passent souvent après une séparation. Les femmes se sont battues depuis la fin du XXe siècle pour que leur corps n’appartienne plus aux hommes mais les enfants subissent encore cette domination patriarcale.

L’inceste et la pédophilie sont selon vous à mettre directement en lien avec la société patriarcale.

L’inceste et la pédophilie ne sont pas des faits divers ou des actes perpétrés par des monstres isolés mais ils sont des faits sociaux, qui s’inscrivent dans notre culture patriarcale. Notre culture affirme la domination des hommes sur les femmes, comme celle des aînés sur les cadets, des parents sur les enfants. Et au sommet de toutes ces hiérarchies, il y a le père. L’agression sexuelle d’un enfant matérialise ce pouvoir paternel. L’inceste et la pédophilie sont les résultantes du droit archaïque des hommes qui existe toujours dans les sociétés les plus modernes. Ils sont toujours de terribles réalités.

L’inceste est pourtant un tabou universel, comme l’a expliqué l’anthropologue français Claude Levi Strauss.

L’homme, propriétaire des femmes et des enfants, échange ses femmes pour tisser des liens avec les autres groupes humains. Mais si l’inceste est interdit à des fins socialement utilitaristes, la pratique de cet acte se perpétue.

Dans l’histoire récente, la pédophilie a encore trouvé des défenseurs.

Jusqu’au 19 e siècle, il y a un déni de la pédophilie. La loi s’en mêle alors pour la condamner mais on va voir apparaître des théories des plus farfelues pour la justifier. Au XXe siècle et plus particulièrement dans les années septante, on va la légitimer et dire que l’enfant est consentant et désire avoir une vie sexuelle. On connaît l’affaire Matzneff qui vient de faire scandale. À la même époque, on voit se créer des associations pro-pédophiles qui militent pour que les enfants puissent avoir des relations sexuelles. On observe cela dans tous les pays occidentaux. La Hollande était la Mecque des pédophiles mais la Belgique a ainsi eu deux associations : le Groupe d’études sur la pédophilie à Ixelles et le StudieGroep Pedifilie à Anvers. Dans les années 80, il y a eu un retournement et ces théories n’ont plus été acceptées. Mais aujourd’hui le déni du problème resurgit avec ce fameux « syndrome d’aliénation parentale » qui décrédibilise la parole de l’enfant.

Certains sociologues telle la française Christine Castelain Meunier estiment que nous sortons du patriarcat. On pourrait espérer dès lors que ces comportements de violences sexuelles diminuent.

On assiste en effet à une transformation majeure de notre société, portée essentiellement par le fait que les femmes peuvent à présent contrôler leur fécondité. Et dans notre société, la répartition des tâches a évolué vers plus d’égalité entre les femmes et les hommes. Mais pour le reste, le patriarcat reste bien en place. Deux cents millénaires de patriarcat ne s’effacent pas en 50 ans. Le père reste une figure symbolique dans les mondes politique, religieux, économique, juridique. Les mots disent toujours cette importance du paternel ; on parle en politique de « père fondateur de la nation », de « père de la nation ». Au curé, on s’adresse en disant « mon père ». « Patron » comme « pape » sont d’autres mots qui font référence au père. Ne parlons pas de « paternalisme ». De plus le pouvoir reste aujourd’hui masculin et vertical. Il est inexact de dire que le patriarcat a disparu. Le masculin incarne toujours le pouvoir. L’homme est dans le groupe social dominant.

Vous n’avez pas l’espoir que les choses changent ?

Les changements ne sont jamais linéaires ; la société se transforme par palier ; on a vu combien les scandales DSK, Weinstein ont changé la donne pour les femmes. En ce qui concerne les enfants, je perçois un frémissement ; je constate que mon livre suscite un intérêt alors qu’il y a quelques années, il n’aurait même été publié.

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La loi des pères est paru aux éditions du rocher, 336 p., 18,90 euros

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