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Aux origines de la violence sexuelle

Une étude américaine met en lien la violence sexuelle des adolescents et les abus paternels, psys et/ou sexuels, subis pendant l’enfance. Commentaires de Pierre Collart, professeur à l’UCL et spécialiste des déviances, violences et abus sexuels.

Journaliste Temps de lecture: 5 min

Pourquoi un humain en vient-il à en agresser sexuellement un autre ? Cette question hante bien des psys parmi lesquels Raymond A. Knight qui depuis 40 ans, s’intéresse à la problématique de la délinquance sexuelle et tente de la cerner au sein de son laboratoire de l’Université Brandeis dans le Massachusetts. Cette fin d’année, le professeur émérite de psychologie vient de publier une étude (1) dans la revue Archives of Sexual Behavior qui établit une corrélation entre les abus sexuels commis par des jeunes adolescents et la violence paternelle aussi bien psy que sexuelle qu’ils ont subie pendant l’enfance ! Pour mettre en évidence ces liens, Raymond A. Knight, associé à Kathryn A. Davis, a interrogé quelque 307 jeunes hommes qui avaient en moyenne 16 ans et avaient tous commis au moins un crime sexuel grave. Les deux chercheurs leur ont posé mille et une questions pour constater que les jeunes adultes disant avoir subi des niveaux élevés de violence psychologique et des sévices sexuels importants, seuls ou associés, de la part du père avaient également tendance à signaler des comportements sexuels agressifs excessifs. Tout comme ils relataient de l’hypersexualité et des intérêts et comportements paraphiliques, pédophiles en particulier. Connaître ces antécédents est important car l’identification des origines de l’hypersexualité et de la violence sexuelle permet d’identifier les risques de récidive et de les éviter.

Pierre Collart, cette étude apporte-t-elle un éclairage nouveau sur la violence sexuelle ?

« Cette étude est intéressante car elle est basée sur un nombre important de cas et montre que les abus psychologiques – définis ici comme des rejets, négligences, insultes, absence de comportements positifs – tout comme les violences sexuelles subies peuvent être mises en rapport avec les comportements sexuels violents, les intérêts paraphiliques ou l’hypersexualité. Mais attention, cette étude n’établit pas un lien de cause à effet entre les deux réalités mais observe une corrélation entre des phénomènes qui varient dans le même sens. »

Mais la violence psy et/ou sexuelle subie par l’enfant étant antérieure dans le temps, ne peut-elle être considérée comme une cause du comportement sexuel problématique ?

« À l’échelle d’une étude, on ne peut pas établir un lien de cause à effet car ce serait simplifier un problème très complexe. Un même comportement peut avoir des causes multiples. Chaque personne est différente. Mais pour le travail clinique, qui se centre sur la réalité d’un individu en particulier, cette étude permet de faire des hypothèses causales et d’envisager que les abus subis peuvent favoriser des comportements sexuels problématiques. »

Beaucoup d’études sur les violences sexuelles sont centrées sur les adultes. Au contraire de celle-ci…

« C’est exact. Se centrer sur les adolescents est intéressant et d’actualité pour notre époque. En Belgique, depuis quelques années, nous avons d’ailleurs plus de demandes de prises en charge d’ados qui ont commis des agressions sexuelles et nous nous rendons compte également qu’un certain nombre d’adultes qui commettent des actes violents ont déjà commencé à l’adolescence. »

La figure du père est épinglée comme problématique…

« L’étude amène un questionnement intéressant par rapport à la figure paternelle et en clinique, avec des patients, nous constatons combien certaines attitudes paternelles peuvent perturber le développement de l’enfant mais il ne faut pas attribuer au père toute la responsabilité du comportement problématique de son enfant. Autrefois on l’a fait pour les mères ; on ne va pas le refaire avec les pères. »

Dans une interview accordée à PsyPost, Raymond A. Knight explique que « la prévention primaire est la stratégie d’intervention optimale pour réduire la violence sexuelle ». Comment éviter cette maltraitance psychologique d’un père envers son fils qui comme le dit encore le psychologue américain est « un puissant prédicteur d’hypersexualité » ?

« Il faut faire de la prévention primaire, c’est-à-dire bien avant le passage à l’acte. Ce qui est important, c’est de parler aux enfants et développer chez eux une estime de soi. Il faut leur apprendre dès le plus jeune âge le respect de soi, des autres et de la vie avec les autres. L’ONE, l’Office National de l’Enfance, peut organiser un suivi des enfants et sensibiliser les parents sur l‘importance de leurs attitudes éducatives, voire les aider en cas de difficultés. Les formations EVRAS, l’Éveil à la vie relationnelle, affective et sexuelle, peuvent intégrer cette dimension dans ses cours donnés aux jeunes. Ensuite, il faut intervenir très vite quand on découvre que des enfants sont victimes afin que devenus adultes, ils puissent être de bons parents. »

Vous êtes spécialiste des déviances, violences et abus sexuels et membre de l’Équipe d’Évaluation et de Prise en Charge des Paraphilies, Hôpital Vincent Van Gogh, CHU de Charleroi. Selon Knight avoir subi des violences psychologique et/ou sexuelles est un des facteurs de risque d’agression sexuelle qui peut amener l’enfant à devenir plus tard un abuseur sexuel. Mais quelles autres causes peuvent engendrer des comportements sexuels problématiques ?

« Il n’y a pas un seul profil d’abuseur sexuel. Les facteurs de vulnérabilité sont nombreux. Certaines personnes peuvent avoir des comportements sexuels problématiques car elles confondent affection et sexualité et ne peuvent exprimer leur sentiment que par le sexe. Je citerais également le fait d’avoir subi une violence sexuelle. C’est heureusement loin d’être toujours le cas, mais ce vécu traumatique pour la victime peut la conduire à reproduire le même comportement sexuel pour tenter de se débarrasser de ce traumatisme. Il y a également d’autres personnes qui ont de grosses carences au niveau social et ont des difficultés si importantes à entrer en relation avec autrui qu’ils ne peuvent qu’agresser. Je citerais encore ces personnes qui sont dans la consommation de l’autre… »

(1)L’étude, « La relation entre les expériences de violence faite aux enfants et les comportements sexuels problématiques chez les jeunes hommes qui ont commis des infractions sexuelles » a été rédigée par Kathryn A. Davis et Raymond A. Knight. Elle est publiée dans Archives of Sexual Behavior, en décembre 2019

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