Lionel Duroy: «Il faut passer par la fiction pour exprimer les rapports complexes»
Dans un livre touchant de sincérité, Lionel Duroy évoque son envie de disparaître.


À un âge où il pouvait tout à fait envisager sereinement un repos bien mérité, Lionel Duroy a préféré partir sur les routes à vélo, avec comme objectif potentiel d’atteindre Stalingrad. Son seul but était de profiter du moment présent, jusqu’à épuiser ses dernières forces et mourir en solitaire, loin de sa famille. Mais les aléas de la vie en ont décidé autrement.
Comme vous brouillez un peu les pistes dans ce roman, ce voyage à vélo, vous l’avez bien effectué vous-même ?
Absolument ! Mon dessein était de partir à vélo pour disparaître. Je l’ai fait, comme je le raconte dans le livre, bien que cela ne soit pas un récit de voyage. Ce projet correspond à un désir qui est né il y a longtemps dans mon esprit. Je ne veux pas mourir auprès des miens, je déteste les cérémonies mortuaires et le côté grabataire qui accompagne les fins de vie. Je ne supporterais pas qu’on me voie comme cela. Je pense qu’on doit y songer quand on est encore en forme. Notre mort nous appartient, il ne faut pas l’attendre sans rien faire. Je n’accepte pas l’idée qu’elle puisse me surprendre alors que je suis immobile. Je veux pouvoir décider jusqu’au bout.
La fiction permet parfois de dire plus facilement certaines vérités ?
Tout le temps même ! J’ai compris depuis longtemps l’insuffisance d’essayer de dire la vérité de la vie en traduisant le factuel. Il faut passer par la fiction pour exprimer les rapports complexes. Comme dans cette première partie du livre où je raconte avoir réuni tous mes enfants ensemble autour de moi pour leur parler de mon projet. En réalité, je les ai vus un à un, mais la fiction permet de mieux raconter la manière dont je les regarde. Elle se nourrit des gens aimés et permet de dire clairement la vérité. L’écriture est angoissante et libératrice en même temps. Mais elle éclaire la vie et permet de la décrypter.
Votre entourage vous a souvent reproché vos romans, mais il est inconcevable pour vous de ne pas écrire sur ce que vous vivez ?
C’est inconcevable oui, mais je connais le prix à payer. Je suis enfermé dans quelque chose de contradictoire. Les gens que j’aime savent qu’ils vont se retrouver dans mes livres, mais j’essaie de le faire avec pudeur, pas pour les embêter. Je mets des mots sur la vie, donc, forcément, je parle de mon entourage. Je suis conscient que ce n’est pas agréable de se retrouver dans mes écrits, mais je n’ai pas encore trouvé d’autre solution.
Vous avez ressenti ce besoin de disparaître, mais finalement l’envie d’écrire a été plus forte ?
C’est un peu ça. Je suis tombé malade durant mon voyage et j’ai été soigné, remis en état. J’ai été rattrapé par la vie et j’ai eu envie de raconter ce qui s’était passé. Je disparaîtrai à un autre moment, cette fois j’ai choisi l’écriture.
Le vélo tout comme l’écriture vous ont permis de surmonter des épreuves difficiles ?
Tout à fait. Enfant, j’ai soigné ma dépression par le vélo et j’ai commencé à écrire simultanément. Les deux font partie de ma façon d’être et il faut une certaine force pour les pratiquer. Quand on pédale et quand on rédige, on éloigne la tristesse.
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