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L’école est-elle sexiste?

L’école nous conditionne-t-elle à être des garçons et des filles hétéros, obligatoirement attirés par des personnes de l’autre sexe ? C’est la question que pose la sociologue du genre, Gabrielle Richard dans son ouvrage « Hétéro, l’école ? ».

Journaliste Temps de lecture: 8 min

Être un homme ou une femme ! Être attiré par une personne de l’autre sexe ! Tels ont été longtemps les impératifs sexuels de la société occidentale. Mais les choses sont bien plus complexes et l’humanité bien plus riche et diverse. L’identité de genre comme l’orientation sexuelle ne sont pas binaires mais multiples et complexes ! On peut avoir un sexe biologique masculin ou féminin et se sentir appartenir à l’autre sexe. Ou ne pas se reconnaître exclusivement dans les genres féminin ou masculin tels que la société les définit. Ou se reconnaître comme sans genre. De même l’orientation sexuelle est multiple ! On peut être attiré par des personnes de l’autre sexe mais aussi changer ses attirances : être à un moment de sa vie attiré par les hommes puis par les femmes. Ou être attiré par les deux sexes ; il s’agit des « bisexuels ». Ou être attiré par une personne quel que soit son sexe ; on parle alors de « pan sexuel ». Ou ne pas ressentir d’attirance sexuelle. Ce sont les « asexuels » ! Ou refuser tous les catégories et classifications qu’elles concernent l’identité ou l’orientation ; il s’agit des « queer ». Même en ce qui concerne la dimension biologique du sexe, les choses sont aussi plus nuancées qu’on voudrait le croire car certains enfants naissent avec des sexes qui ne correspondent pas aux normes définies par la société comme étant ceux des garçons ou des filles et ont un pénis trop petit ou un clito trop grand ou des taux hormonaux comme des caractéristiques génétiques qui ne correspondent à aucun des deux sexes reconnus. Il s’agit des « intersexes » qui selon certaines études ne formeraient pas moins d’1,7 % des naissances. En Belgique, ces enfants furent longtemps opérés très jeunes pour que leur sexe corresponde aux normes en vigueur parfois en forçant la décision des parents.

Et aujourd’hui cette multiplicité s’exprime car sans doute notre société accepte davantage les différences. Il ne s’agit pas d’un effet de mode ou d’une invention de notre époque. Auparavant, comme l’explique la sociologue du genre Gabrielle Richard dans son passionnant ouvrage « Hétéro, l’école ? », les identités LGBTQI existaient mais « à force de répressions et de contrôle social, ces communautés ont été reléguées dans l’ombre. Les autorités médicales, policières et juridiques ont tantôt successivement, tantôt simultanément, criminalisé et marginalisé les personnes issues de la diversité sexuelle ». L’hétérosexualité a été valorisée et présentée comme le seul modèle naturel car il permettait la reproduction et garantissait la reproduction de l’espèce

Les identités comme les orientations sexuelles sont multiples. Reconnaître cette multiplicité est récent. Pourquoi ? Parce que cette diversité a été jugée périlleuse pour la société ?

« Nos sociétés occidentales trouvent leurs assises mêmes dans cette idée selon laquelle il existerait deux sexes et que les femmes et les hommes seraient complémentaires – dans la procréation comme dans leurs habiletés, notamment. Reconnaître (et accepter) que des personnes puissent ne pas être hétérosexuelles, ne pas s’identifier comme femme ou comme homme, ou ne pas adhérer aux assignations de genre qui leur sont faites, c’est faire éclater ces assises, et leur présumée naturalité. Cela ébranle les conceptions de ce qui est normal ou de ce qui devrait être. Surtout, cela met en évidence le fait que, si les hommes blancs cisgenres hétérosexuels occupent des postes de privilège dans nos sociétés, c’est moins en raison de leurs compétences naturelles que du fait qu’on a collectivement choisi de leur accorder une légitimité – une légitimité qui peut donc, par ailleurs, leur être retirée tout aussi arbitrairement. »

L’identité de genre est une lente construction à laquelle participent de nombreux éléments sociétaux. À commencer par le regard des adultes comme le montre l’expérience de Baby X de 1975 dont vous parlez.

« L’expérience Baby X, réalisée en 1975 et reprise plusieurs fois depuis avec des conclusions similaires, a documenté scientifiquement que les adultes qui interagissent avec des jeunes enfants peuvent influencer les préférences genrées de ces derniers. Par leurs mots, leur présence, leurs encouragements ou leur réprobation, ils et elles encouragent ou découragent l’exploration de certains types de jeux ou de jouets, l’expression de certains sentiments, la prise de risques, etc. Les parents, les grands-parents et les professionnelles de la petite enfance considèrent que les petites filles et les petits garçons ont « naturellement » des comportements ou des préférences différentes, sans toujours se demander véritablement à quel point ils et elles jouent un rôle dans cet état de faits. »

L’école est un acteur majeur de cette reproduction des normes de genre, comme vous l’expliquez dans votre ouvrage. Dès le primaire cette normalisation se passe.

« Et de façon omniprésente. Par exemple, les contenus des manuels scolaires cantonnent encore les femmes et les hommes dans des rôles stéréotypés, même si la situation tend à s’améliorer. Les professeurs vont davantage donner la parole en classe aux garçons, bien qu’ils s’en défendent. On s’attend des filles à ce qu’elles réussissent facilement sur le plan académique, alors les corrections de leurs copies sont plus sévères. Ce sont tous des phénomènes documentés scientifiquement. On sépare encore souvent les élèves par genre (un groupe de filles/un groupe de garçons). Dans la cour d’école, on considère que si les garçons jouent au foot, c’est que les filles n’en ont pas envie, sans prendre en considération les circonstances qui pourraient contribuer à diminuer leur désir de s’emparer du ballon. Le milieu scolaire a du mal à prendre acte des normes de genre problématiques qu’il reconduit en son sein, parce qu’il considère mettre l’égalité est au cœur de sa mission. Or, la reconduction des normes de genre se fait bien sournoisement. »

Mais c’est surtout à l’adolescence que cette normalisation se fait !

« Ce qui est spécifique à l’adolescence, c’est l’influence du groupe de pairs. Les adolescents et les adolescentes scrutent les comportements des autres et peuvent condamner très sévèrement ceux qu’ils considèrent atypiques. Ici, c’est la popularité qui est en jeu. Mieux on adhère aux normes d’une masculinité et d’une féminité conventionnelles, plus on sera populaire. Et l’entrée dans la vie sexuelle, pour plusieurs jeunes, se fait au même moment. Qu’on soit actif sexuellement ou non, il s’agit de faire la preuve de son hétérosexualité auprès des autres, de montrer qu’on plaît, qu’on attire le regard et – pour les garçons – qu’on peut avoir accès au corps des filles. Cela peut donner lieu à des comportements qui sont problématiques, par exemple des garçons qui peuvent faire circuler entre eux des photos intimes de filles dans le contexte du cybersexisme, thème que j’analyse dans mes autres travaux. En revanche, les personnes qui nous lisent se souviendront probablement toutes d’un ou d’une professeur qui a joué un rôle majeur dans leur parcours, en ouvrant une fenêtre des possibles, que ce soit au détour d’un exemple ou d’une discussion. »

Cette normalisation n’est pas seulement délétère pour toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans la division binaire des genres mais également pour les hétéros.

« Tout à fait. Tout le monde est pénalisé par les messages normatifs très stricts qui concernent le genre et l’orientation sexuelle, parce qu’ils imposent des expressions très restrictives de la masculinité et de la féminité. Il ne s’agit pas de dire que les filles ne devraient plus se maquiller, ou que les garçons devraient cesser d’apprécier les jeux vidéos violents, mais bien de s’assurer que ces intérêts correspondent dans les faits bien à leurs goûts personnels, non à une vision qui leur est imposée en raison du sexe qui leur a été assigné à la naissance. Considérer que ces questions ne concernent que les personnes LGBT, c’est méconnaître les réalités sociales, notamment parce qu’on sait que la plupart des élèves victimes de violence en raison de leur expression de genre sont hétérosexuels. »

Votre essai est sous-titré « Plaidoyer pour une éducation anti-oppressive ». Les différences sexuelles sont-elles si fragiles dans notre société qu’il est besoin de les défendre avec passion ?

« C’est tout le contraire. L’idée selon laquelle il n’existerait que deux genres qui seraient « naturellement » complémentaires dans l’hétérosexualité est si ancrée qu’il faut un véritable plaidoyer pour s’en départir. Une éducation anti-oppressive invite justement à prendre connaissance des rapports de pouvoir dans lesquels nous nous insérons tous, constamment. Prendre un pas de recul face à ces rapports de pouvoir, cela permet de comprendre qu’il existe autant de manières d’être une fille qu’il y a de filles. Qu’il existe autant de manières d’être un garçon qu’il y a de garçons. Et qu’il est possible d’être ni fille, ni garçon. Ce livre, c’est un plaidoyer pour l’affranchissement des jeunes et des moins jeunes face aux frontières sur le plan du genre et de la sexualité. J’invite d’ailleurs vos lecteurs et lectrices à déconstruire ces catégorisations, tout comme ils et elles le font peut-être dans la lutte contre le racisme. »

ecole
« Hétéro, l’école ? » est parue aux éditions remue-ménage, 150 p.

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